LA RÉVOLTE DES AMÉRINDIENS, CETTE "VERMINE PERNICIEUSE"
À Michillimakinac en 1761, un commerçant anglais camouflé en trappeur français, Alexander Henry, est démasqué par les Indiens. Alors qu’il craint pour sa vie, un chef ojibwa s’approche et lui fait une déclaration mémorable.
Il lui dit : « Anglais ! Vous avez vaincu les Français, mais vous ne nous avez pas encore vaincus ! Nous savons que notre père, le roi de France est vieux et infirme ; nous savons que, fatigué de vous faire la guerre, il s’est endormi. Son sommeil vous a permis de conquérir le Canada. Mais son sommeil touche à sa fin. J’entends déjà notre père s’éveiller et s’informer du sort de ses enfants, nous les Indiens. Et quand il va se réveiller, que va-t-il advenir de vous ? Il vous détruira complètement ! »
Cette interpellation se passait à Michillimakinac, un fort français proche d’une ile située entre le lac Huron et le lac Michigan, aujourd’hui appelée Mackinac Island (Michigan, États-Unis), qui était un important centre commercial entre Amérindiens et Canadiens (français).
Les rumeurs d’un retour de la France au Canada s’avérèrent sans fondement, hélas pour les Indiens et les Français, mais elles révèlent l’état d’esprit des Amérindiens. Il ne faisait pas bon commercer dans le Haut Canada quand on était identifié comme « anglais », les Anglais n’octroyaint plus de crédits, ne faisant plus de cadeaux aux Amérindiens. L‘attitude haineuse du général Amherst était évidemment un facteur aggravant, car ce dernier, loin de vouloir approvisionner les Amérindiens, était déterminé à les détruire, les traitant de « vermine pernicieuse » contre laquelle « il faudrait lâcher les chiens ».
La nouvelle du Traité de Paris au début de l’année 1763 poussa les Amérindiens à déterrer la hache de guerre. Pourtant, le Roi d’Angleterre avait produit une Proclamation Royale tout de suite après le traité de Paris, en mai 1763, qui accordait une réserve indienne et qui est largement à l’origine de la Guerre d’Indépendance américaine.
Ce n’était pas suffisant pour les Amérindiens qui n’acceptaient pas qu’Onontio* puisse céder leur territoire aux Anglais, dont ils perçaient à jour la volonté profonde de les exterminer ! Obwandiyag, que les Français prononçaient « bwon-diac », d'où son nom francisé de Pontiac, né vers 1720 dans la tribu des Outaouais près de la rivière Détroit va conduire la guerre contre les Anglais, d’autant plus volontiers qu’il s’était souvent associé auparavant aux Français pour les combattre.
Après la capitulation de Montréal, le 8 septembre 1760, Armherst avait envoyé à une mission pour s'emparer des forts de la Vallée de l'Ohio et de la région des Grands Lacs auparavant occupés par les Français. Mais dès le Traité de Paris connu, en avril 1763, le soulèvement commença. Le génie de Pontiac fut de rallier à la guerre contre les Anglais la plupart des membres de sa tribu, les Outaouais, mais aussi les Hurons, les Objiwas, les Delawares, les Shawnees, les Miamis, les Poutéouatamis, les Tsonnontouans et d’autres tribus moins importantes. C’est écrire aussi à quel point les Anglais étaient détestés !
Dans les Pays d’en Haut, vers les Grands Lacs, les Amérindiens capturèrent une dizaine de navires anglais avec leurs équipages et leurs provisions, les forts Miami, Saint-Joseph, le fort Ouiatanon dans l'Indiana, le fort Michillimakinac, le fort Venango (aujourd'hui Franklin en Pennsylvanie), le fort de la Rivière au Boeuf (Waterford, Pennsylvanie) et le fort de la Presqu'île (Érié, Pennsylvanie). Trois forts seulement, entre la Baie des Puants et l’Ohio échappèrent aux Amérindiens, Detroit, Niagara et Fort Pitt (Pittsburgh).
Plusieurs Canadiens participèrent à la révolte, soit en approvisionnant les Amérindiens, soit en se tenant à leurs côtés, comme Robert Navarre qui joua le rôle de secrétaire de Pontiac qui réussit aussi à gagner à sa cause quelques centaines de Canadiens français, rassemblés autour de Zacharie Chiquot, tandis que d’autres Français se joignaient aux vainqueurs anglais.
Les autorités de la Louisiane jouèrent également un rôle en faveur de la révolte dans le Haut-Mississipi où Fort de Chartres demeura un centre de la Pax Gallica, dont le commandant, Neyon de Villiers, écrit en octobre 1763 : « Les sauvages s’applaudissent de me voir encore ici ». Pontiac se rendit à Fort de Chartres pour solliciter l’aide des Illinois et des Français, mais Neyon avait pour instruction de respecter le Traité de Paris en attendant l’arrivée des Anglais pour leur céder la place et non de leur faire la guerre. Il ne put donc que décliner l’offre de Pontiac de se joindre à la révolte.
En février 1765 encore, au Fort de Chartres où quelques officiers anglais s’étaient rendus pour évaluer la possibilité de leur installation, le lieutenant John Ross fut accueilli en ces termes par un chef indien : « Pourquoi toi Anglais ne restes-tu pas sur tes terres, toutes les nations rouges restent sur les leurs, car nous les tenons de nos ancêtres. Va-t’en et dis à ton chef que tous les hommes rouges ne veulent pas d’’Anglais ici ». Ross obtempéra et prit la poudre d’escampette.
Comme Onentio* (les français) ne revenait toujours pas et que les marchandises européennes manquaient, les Amérindiens commençaient à envisager de faire la paix avec les Britanniques. Finalement, entre le 23 août et le 4 septembre 1765, des conférences entre le commandant anglais de Détroit et les représentants de plusieurs nations indiennes des Pays d’en Haut permirent de mettre fin au conflit, encore que la méfiance était telle du côté des Amérindiens que le traité de paix ne fut signé que le 25 juillet 1766.
Les Anglais occupèrent progressivement les postes de l’Illinois. Dès le 9 octobre 1765, cent Highlanders du capitaine Thomas Sterling arrivèrent pour investir le Fort de Chartres, où, deux ans et demi après le traité de Paris, flottait encore le pavillon à fleur de lys d’Onentio. Le commandant Saint-Ange de Bellerive, qui avait succédé à Neyon de Villiers en juin 1764 abandonna le fort avec ses troupes mais il n’alla pas bien loin. Ils traversèrent le Mississipi pour s’établir à Sainte-Geneviève et à Saint-Louis qui étaient désormais en territoire espagnol.
Pontiac ne les oublia pas. Il rendit visite à Saint-Ange dans la bourgade de Saint-Louis en avril 1769, vêtu d’un uniforme français qu’il avait reçu en cadeau du marquis de Montcalm. Repassant sur la rive gauche du Mississipi à Cahokia, il fut assassiné le 20 avril par un Indien péoria qui, parait-il, voulait venger la grave blessure infligée par Pontiac à son oncle, trois ans auparavant…
* « Onontio », qui signifie grande montagne en Huron, était le titre qui était donné aux Gouverneurs de la Nouvelle-France. Le Roi de France était surnommé « Onontio Goa » ou « La plus grande montagne sur terre »
À SUIVRE