EXPLOITER LE CHOC DU COVID-19
Personne ne peut nier que la crise du Covid-19 ait produit un choc au niveau mondial. Cela est un fait aujourd’hui sanitaire et social qui va devenir économique, puis politique. Qui va tirer les marrons de ce feu là ?
L’État français a commencé à tirer ces marrons en profitant de l’effet de sidération lié à la décision de confinement général et à la peur entretenue par des media qui diffusent des informations exclusivement consacrées à la pandémie, pour réaliser trois avancées, dans le domaine des libertés publiques, du droit du travail et de l’économie.
La décision de ce confinement général, imposée pour faire face à la saturation des moyens de réanimation disponibles, est une décision extraordinaire de privation des libertés publiques. L’obligation de fournir un ausweis rédigé, justifié et limité par soi-même est une invention italienne géniale, reprise aussitôt par la France.
On observera donc que le premier réflexe des dirigeants de l’État a été de déployer les méthodes les plus punitives, faisant pleuvoir les amendes, menaçant de prison, n’hésitant pas à culpabiliser les Français qui sortent dans les jardins publics, utilisant des drones pour les surveiller, les menacer par haut-parleurs, demain leur tirer dessus ?
L’État nous rappelle ainsi, pour nous protéger de nous-mêmes, qu’il constitue une machine administrative faite pour dominer sa population nationale, sur laquelle il peut agir à sa guise, sans qu’aucun contre-pouvoir ne puisse s’y opposer. Nous constatons aussi que les Français s’y sont soumis, presque sans rechigner, avec l’aide de forces de police professionnelles qui ont su adapter la répression aux circonstances.
Soyez certain que l’État a pris acte de ce pouvoir et qu’il s’en servira sans nul doute à l’avenir, c’est pourquoi il y a toutes les raisons de craindre que ces circonstances exceptionnelles ne soient un prétexte pour restreindre les libertés et accroître le contrôle sur les individus :
- Aujourd’hui, tout rassemblement, toute manifestation, tout mouvement de grève ou de contestation et même toute assemblée générale n’est toléré et cela va durer.
- Dans quelques semaines, il faudra un autre ausweis pour sortir de France.
- Dans quelques mois, il suffira d’intégrer au droit commun les règles dérogatoires de « l’état d’urgence sanitaire », avec l’accord assuré du Conseil Constitutionnel pour les pérenniser.
En matière du droit du travail, cet État autoritaire, on l’a déjà oublié car même le temps du confinement passe vite, a immédiatement utilisé la crise du coronavirus pour mettre entre parenthèses un certain nombre de droits sociaux pour un temps indéterminé, au moyen de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. Cette loi autorise l’exécutif à légiférer en de nombreux domaines, par le moyen de 43 ordonnances qui ont été votées en présence d’un personnel politique restreint.
Ces ordonnances se sont traduites immédiatement par des dérogations portant sur la durée légale du travail, par la possibilité pour les employeurs de choisir les dates des RTT de leurs employés et d’imposer des congés selon leur bon vouloir, encore que l’État, sous la pression des partis d’opposition, ait dû accepter de faire entrer les syndicats dans la boucle, ce qui révèle clairement ses intentions et nous fournit une piste pour notre avenir économique.
Des naïfs s’interrogent pour savoir, à la suite de l’énorme endettement supplémentaire qui vient d’être acté sous nos yeux en quelques semaines, nous situant désormais au niveau des finances publiques italiennes dont nous nous moquions tant, si l’État va mener une politique de relance keynésienne ou une politique d’austérité.
Sans aucun doute, une politique d’austérité. Nous nous dirigeons tout droit vers un plan, que dis-je, neuf ou dix plans d’austérité successifs à la grecque, imposés par nos bons amis allemands, hollandais et scandinaves avec le soutien de nos excellents amis polonais ou tchèques. Il va nous falloir régler à la fois le magnifique cadeau du chômage partiel payé à 84% du salaire, le coût de la relance qui va suivre et le coût du soutien financier aux grandes entreprises, comme Air France ou Darty aujourd’hui et des dizaines d’autres demain.
Certes, nous avons, très théoriquement, le choix : soit une politique keynésienne qui implique la fermeture financière du pays, avec, pour commencer, la sortie de l’Euro et pour finir l’exclusion de la France du marché financier mondial, soit l’Austérité avec un A, pour une durée indéfinie, le temps de payer nos dettes qui ne sont pas près de se réduire.
Quel lecteur de ces lignes croit à la première « solution » ? Je n’en fais pas partie, parce que je vois que le gouvernement français est un fervent adepte de la globalisation et parce qu’il dispose, grâce à l’effet de sidération, grâce à la peur qui s’est emparée de ses citoyens, la peur sanitaire aujourd’hui, la peur économique demain, la peur sociale après demain, la peur des émeutes enfin, de tous les pouvoirs pour agir à sa guise.
Au plan politique, en dehors d’un changement de Premier Ministre ou d’un referendum gadget, on peut imaginer à terme la défaite du Président actuel et l’arrivée d’un Président favorable à une politique keynésienne impliquant la sortie du pays de la globalisation.
Mais nous avons l’expérience de la Grèce : l’expérience de l’élection en 2015 du parti SYRISA sur un programme très hostile aux réformes proposées par les autorités européennes, l’expérience d’un referendum organisé par le gouvernement d’Aléxis Tsipras qui rejeta à plus de 61% les propositions des créanciers européens et l’expérience de ce même gouvernement acceptant huit jours après ce rejet par son peuple des mêmes propositions, qui sont encore appliquées aujourd’hui. La France plus forte que la Grèce, demain, dans cinq ans, dans dix ans ?
L’avenir qui nous attend est un avenir grec.
Il est intéressant d’observer, pour conclure, que notre propre gouvernement nous a plongés par son impéritie dans une crise qui va lui permettre de mener la politique d’austérité de ses rêves, réduisant salaires et retraites. C’est exactement ce que dénonçait en 2007 Naomi Klein dans « La Stratégie du choc »*…
*La Stratégie du choc soutient que les désastres conduisent à des chocs psychologiques collectifs qui sont utilisés pour mettre en place des politiques qui n’auraient pas été acceptées dans d’autres circonstances.
Dans ce livre, Naomi Klein s’efforce de montrer que le néolibéralisme est construit autour de trois principes, la privatisation, la déréglementation et la réduction des dépenses sociales qui conduisent les États à démanteler les barrières commerciales, abandonner la propriété publique, réduire les impôts sur le capital, réduire les dépenses de santé et privatiser l'éducation.
La stratégie suivie par les États pour faire accepter à leurs citoyens des politiques économiques plus libérales et des programmes sociaux plus réduits qu’ils ne le souhaitent comprend deux étapes : tout d’abord, exploiter les crises pour faire avancer un programme qui ne survivrait jamais au processus démocratique des temps ordinaires. Ensuite, constituer une oligarchie indéboulonnable dans laquelle les multinationales et les dirigeants politiques s'alignent pour promouvoir leurs intérêts aux dépens du public.
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