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Le blog d'André Boyer

UNE PLONGÉE DANS LA CHINE DES PROFONDEURS

13 Avril 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

LA MINABLE VILLE DE DATONG

LA MINABLE VILLE DE DATONG

Il est plus que temps, alors que l’épisode du COVID-19 envahit notre horizon et notre vie, de regarder ailleurs. 

 

Lors de mon dernier billet sur mon séjour en Chine, « Une consommation révélatrice » qui date d’avant le coronavirus, le 26 février dernier, je concluais en vous affirmant que, non, je n’étais pas resté confiné à Pékin pendant deux mois. Me connaissant, vous pouviez vous en douter. Ce que je peux ajouter, c’est qu’après l’expédition à Datong, j’ai fait montre par la suite d’une extrême prudence, que l’on pourrait même qualifier de pusillanimité.

 

Je ne sais plus qui nous avaient convaincu de visiter Datong au printemps 1985, peut-être Geneviève Barré ou son compagnon, Gérard Taxi, sans doute à cause d'une curiosité industrielle, l'existence dans cette ville de la dernière usine de locomotives à vapeur du monde, une production qui s'est poursuivie jusqu’au 21 décembre 1988. Néanmoins, je suis allé à Datong sans parvenir à voir cette maudite usine. 

Ce ne fut pas ma seule désillusion. 

Au départ, nous avions l’intention d’utiliser la plupart des week-ends dont nous disposions pour sillonner la Chine, mais ce voyage m’en a totalement dissuadé. 

Tous les quatre, Dumas, les Barré-Taxi et moi, notre collègue italien ayant prudemment déclaré forfait pour lui et sa femme qui aurait pourtant bien aimé venir, nous avons pris un billet aller simple Pekin-Datong en soft seat (siège mou, c’est-à-dire première classe). Aller simple, étant donné qu’à l’époque, il fallait acheter le billet retour sur place. On ne doutait pas qu’on le trouverait facilement. 

On croyait ça. 

Nous sommes partis le samedi matin dans un wagon confortable. Nous étions confiants, avec Geneviève qui parlait parfaitement chinois. Datong était à quatre cent kilomètres environ de Pékin et je pense que l’on a mis environ huit heures pour l’atteindre en train. 

À l'arrivée, nous avons compris que nous avions mangé notre pain blanc. Datong est une grosse ville industrielle qui se trouve à quelques centaines de kilomètres au sud de la Mongolie, une ville où l'on extrait beaucoup de charbon, une ville encore moins excitante que Wuhan, c’est dire. L’air était saturé de poussières, les terres bizarrement jaunes (le lœss), les bâtiments d’un gris repoussant. Ne cherchez pas une photo de Datong, vous ne trouverez quasiment rien d’autre que des Bouddhas dans des grottes, car c’est la seule attraction touristique honorable de la région, ce qui permet aux autorités locales de cacher le véritable décor de l’endroit.

Quand je ai découvert ce décor, j’ai compris que nous nous étions lourdement fourvoyé à vouloir visiter cet endroit infâme, je m’en suis voulu de ma naïveté et je suis devenu d’humeur exécrable. Nous avons néanmoins trouvé un hôtel. Il devait être correct parce que je ne m’en souviens plus, pas plus que de la nourriture qui devait être à peu prés acceptable. 

Le lendemain, découvrant trop tard que l’usine de locos n’était pas visitable (ma colère augmentant), nous nous sommes cru obligés d'aller voir les Bouddhas qui étaient situés dans des centaines de grottes à Yungang, pas loin de Datong. Ces grottes ont été creusées avant le VIe siècle et on y a trouvé des dizaines de milliers d’exemplaires de bouddhas, dont seulement quelques uns sont visibles, notamment un gros Bouddha de 20 mètres de haut, je crois. 

Cette visite m’a laissé de marbre, si je puis dire, sans doute parce que je n’étais pas d’humeur à contempler gravement des Bouddhas. Pas d’humeur du tout. D’ailleurs les bouddhas ne m’ont jamais impressionné, parce que les Chinois repeignent allégrement les temples et les statues en permanence, ce qui rend ces objets fort peu authentiques. 

J’étais inquiet aussi, parce que la veille, avant de quitter la gare, on avait essayé d’acheter les billets retour pour le dimanche, mais on n’avait pas pu. Alors l’après midi du dimanche, nous sommes revenus dans la pitoyable gare de Datong. La foule était partout. On ne voulait toujours pas nous vendre de billets et on commençait à se demander combien de temps on allait passer dans cette ignoble ville, puante et polluée ! 

Pendant que Geneviève négociait en vain les billets de retour, j’ai essayé de mon côté d’aller aux toilettes de la gare. Un spectacle abject m’attendait, qui est toujours dans ma mémoire et qui m’a fait passer en un instant de la mauvaise humeur à la consternation. Environné d’une rare puanteur, au milieu d’un cloaque que je ne crois pas pouvoir décrire ici mais que je visualise encore très bien, s’agitait une bonne centaine d’individus répugnants...Je refusais de me risquer dans cette fange!

Finalement, sans obtenir vraiment de places, nous fûmes autorisés par le chef de gare qui voulait sans doute se débarrasser de ces quatre Européens encombrants, à monter dans le train, en hard seat toutefois. 

Cette fois-ci, nous étions vraiment en Chine, et même tout au fond de la Chine. Impossible de s’asseoir bien sûr. Le train était bondé, les cris fusaient, les disputes tournaient à la bagarre, ma rage atteignait un sommet ignoré, qui ne s'estompa qu'au retour à Pékin.  

Le train mis longtemps à partir, à la nuit tombante et il s’arrêta souvent. La loco vapeur remplissait de suie les wagons aux fenêtres ouvertes, chassant d’autres odeurs. Je finis par m’asseoir, grignotant centimètre après centimètre d’appui fessier avec une violence qui faisait petit à petit refluer mes voisins, tandis que mes genoux s’encastraient impitoyablement dans les genoux du passager qui me faisait face.

Tout semblait pouvoir arriver dans le wagon surchauffé et le couloir central devenait de plus en plus fréquemment le lieu d’une bagarre générale. La nuit n’en finissait pas, à tout moment le train s'arrêtait sans raison,  mes trois compagnons d’infortune s’étaient incrustés comme moi dans les centimètres carrés que leur abandonnaient, en résistant de toutes leurs forces, des Chinois moins solides qu’eux. C’est exactement cela la Chine, un rapport de force permanent pour quelques centimètres carrés et ce n’est pas prés de changer, quelle que soit la fortune que l’Empire du Milieu accumule, yuan par yuan. 

Le train finit par s’approcher de Pékin. Une locomotive diesel remplaça celle à charbon, la vitesse augmenta, les secousses aussi, mais les passagers se calmèrent peu à peu. Le vent chassait les miasmes, la guerre du cmarrivait à son terme, ma rage s’apaisait peu à peu.  

Puis émergea cette merveille de modernisme qu’était pour nous la gare de Pékin comparée aux  hangars insalubres qui constituaient la « gare » de Danang. Nous en sortîmes avec le sentiment de quitter le moyen âge pour retourner dans le monde civilisé. Notre chauffeur au volant du minibus Volkswagen nous attendait sans sourire, mais il était là. Nous montâmes en silence dans ce véhicule miraculeux, et sans mot dire, chacun rejoignit son logement respectif, où avant d’aller enfin se coucher au matin, il prit une douche interminable. 

Quand je me réveillais dans l’après midi, j’avais compris quelque chose de cette Chine qui s’était imprégnée dans tous mes pores. Je me jurais que l’on ne m’y reprendrait pas. 

 

Et on ne m’y a pas repris. 

 

À SUIVRE

PROCHAIN ARTICLE : LES MÉANDRES DE LA PENSÉE CHINOISE

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