UNE VOCATION D'ÉLEVEUSE DE MOUTONS
26 Mai 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE
Depuis que l’agriculture existe, elle est prise dans une terrible contradiction, entre l’amour de la nature qu’elle contribue à détruire et la nécessité de nourrir l’humanité.
La plupart d’entre nous se contentent d’être les consommateurs de cette agriculture, critiques pour ses produits tout en étant admiratifs pour ses producteurs qui vouent leur vie, plus ou moins volontairement, à cette ascèse.
Lorsqu’elle est volontaire, il est instructif d’en comprendre les motivations.
À 28 ans, la parisienne Stéphanie Maubé se découvre une vocation d’éleveuse de moutons, alors qu’elle exécrait la campagne, elle qui aimait les loisirs, les distractions et la bonne bouffe.
Mais elle est émerveillée par le mouton, cet animal assez simple, un « gros rond avec quatre pattes ». Le contact physique avec le mouton lui plait, elle s’émerveille de son instinct grégaire, de sa placidité. Et puis élever des moutons lui donne un sentiment de plénitude lorsqu’elle marche derrière le troupeau dans d’immenses espaces où il n’y a que le ciel dans son champ de vision, ainsi reliée à la terre, donc vivante et finalement utile avec son troupeau destiné à la production de nourriture.
Plus d’une décennie ont passé depuis cette découverte. Elle sait désormais que l’on ne devient pas agriculteur pour se retrouver, pour fuir la ville ou pour donner un sens à la vie, car le métier d’agriculteur demande trop de sacrifices pour qu’une telle motivation individuelle ne s’y dissolve pas.
Dans ce métier, on ne peut y aller seul bien longtemps, il faut que l’on puisse y embarquer son conjoint, ses enfants, ses parents et ses amis. Il faut que l’on puisse renoncer à l’argent, aux vacances, aux week-ends, au cinéma, aux fringues et on ne le peut s’y résoudre que si l’on voit son métier comme un geste d’amour pour l’humanité.
Un geste d’amour pour l’humanité, alors que l’industrialisation et le véganisme veulent couper l’homme de son alimentation naturelle ? Pour notre éleveuse de moutons, l’homme a besoin de « carburant » et si on s’alimente avec un carburant pourri, dévoyé ou artificialisé, on s’éloigne de ses besoins réels. Alors produire de l’alimentation de qualité, oui, c’est un objectif noble, c’est un geste d’amour.
Encore fallait-il comprendre, avant de se faire comprendre et accepter par des agriculteurs qui, dans leur grande majorité, n’avaient jamais eu le choix de faire ce métier qu’ils se contentaient de subir. Elle a bien compris qu’en faisant ce métier d’éleveuse de moutons par choix, elle venait les provoquer, les narguer.
Il a donc fallu qu’ils se reconnaissent réciproquement comme étant de la même trempe, lorsqu’ils ont vu qu’elle rentrait son troupeau sous la pluie avec son bébé accroché dans le dos, qu’elle était capable de trainer des carcasses de brebis mortes, qu’en somme elle faisait son métier de manière professionnelle. Et puis, ceux qui perpétuent une tradition familiale qui s’essouffle, souvent plus contraints que volontaires, comprennent progressivement que la relève viendra, en partie au moins, de ces néo ruraux.
La lisant, l’écoutant, j’en ai conclu que je partageais tout à fait la philosophie du métier qu’exprimait Stéphanie Maubé, moi dont la sœur et le beau-frère ont fait le même choix, ont obtenu la même réussite en s’intégrant de même dans le monde rural.
Même si la vie vous contraint à inscrire vos pas dans un sillon que vous n’avez pas choisi, son métier c’est sa vie, on ne peut donc le faire que par amour…
Référence : Yves Deloison et Stéphanie Maubé, Il était une bergère, Rouergue Editions, 2020.
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