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Le blog d'André Boyer

LES LEÇONS DE L'EXPÉRIENCE DE MILGRAM

21 Juin 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LES LEÇONS DE L'EXPÉRIENCE DE MILGRAM

Milgram a tiré les leçons de l’expérience qu’il a conduite dans un ouvrage* publié en 1974.

 

Dans cet ouvrage, il pose comme hypothèse que l'obéissance est un comportement inhérent à la vie en société et que, lorsqu’un individu est intégré dans une hiérarchie, il passe d’un statut d’autonomie à celui d’agent d’autorité. 

Milgram s’interroge ensuite sur les conditions préalables à l’obéissance qui vont de l’éducation familiale (la reconnaissance de l’autorité) à l'idéologie acceptée (ici, dans l’expérience, la légitimité de l'expérimentation scientifique). 

Puis il analyse ce que signifie « l'état d'obéissance » qui se traduit notamment par la syntonisationc’est-à-dire par une réceptivité sélective pour les messages de l'autorité et par la perte du sens de la responsabilité personnelle. 

Il relève enfin les facteurs qui permettent de maintenir cette obéissance de l’individu, parmi lesquels l’anxiété joue le rôle éminent de soupape de sécurité permettant de se prouver à soi-même que l’on est en désaccord avec un ordre que l’on exécute quand même, malgré soi.

Milgram ne prétend pas montrer que l’obéissance est négative en elle-même, mais qu’elle est dangereuse quand elle entre en conflit avec la conscience de l'individu. Dans ce cas, il arrive que ce dernier refuse d’obéir, en particulier lorsqu’il s’identifie à un groupe qui est en désaccord avec l’ordre donné et que le conformisme au groupe lui commande de ne pas obéir. Il en déduit aussi que l’obéissance aveugle d’un groupe n’est assurée que si la majorité de ses membres adhère aux buts de l'autorité.

Lorsque, finalement, l'individu obéit, il délègue sa responsabilité à l'autorité pour devenir l’agent exécutif d'une volonté étrangère, et ceci aussi longtemps que s'exerce le pouvoir de l'autorité, que l’ordre donné n'entre pas en conflit avec le comportement recommandé par le groupe auquel il appartient et que l’anxiété de l’individu n’atteint pas un niveau insupportable pour son psychisme.

En effet, la tension que ressent l'individu qui obéit est le signe de sa désapprobation à l’égard de l’ordre qu’il a reçu. Il cherche donc à faire tout ce qu’il peut pour baisser ce niveau de tension, tout en obéissant. C’est ainsi que, dans l'expérience de Milgram, des sujets émettent des ricanements, désapprouvent à haute voix les ordres de l'expérimentateur, évitent de regarder l'élève, l'aident en insistant sur la bonne réponse, mais obéissent… 

Les critiques de cette expérience ont naturellement porté sur la validité des résultats obtenus et sur leur portabilité à des situations réelles, mais la reproduction de l'expérience avec des résultats très proches et la production d'expériences du même ordre ont toutes montré la facilité avec laquelle une majorité de personnes assume la fonction de tortionnaire légal.

Une forte critique a consisté à s’interroger sur la validité éthique et scientifique d’une expérience reposant sur la tromperie. L’éthique d’une expérience qui ment aux participants est en effet fortement discutable, mais l’on ne peut en conclure, sans mettre en danger le travail scientifique, qu’une expérience ne peut être menée qu’à condition d’obtenir le consentement éclairé du sujet participant à l'expérience.

Dans son livre, Stanley Milgram rapproche sa démarche scientifique de l’histoire et de la société contemporaine. Il affirme que le comportement de la plupart des Allemands sous l'Allemagne nazie était assimilable à celui qu’il a observé dans son expérience, car les Allemands obéissaient aux ordres d'une autorité qu'ils respectaient, tout en la désapprouvant souvent. À cet égard, il soutient la philosophe Hannah Arendt qui a vu dans Adolf Eichmann plus un bureaucrate qu'un antisémite cruel. Il mentionne aussi l’extermination des Amérindiens tout au long de l’histoire des États-Unis ou le massacre de Mỹ Lai durant la guerre du Viêt Nam comme des exemples d’obéissance aux ordres, du même type que ceux donnés dans son expérience. 

Il souligne ainsi que les autorités d’un pays supposé démocratique comme les États-Unis peuvent concevoir des politiques impitoyables, en contradiction avec les principes éthiques de leur population, et donner des ordres en application de ces politiques, qui ont été exécutés par l'ensemble de la nation avec toute la soumission escomptée par les autorités. 

De même, la période récente du confinement a vu des populations obéir massivement à des ordres qui contrevenaient à leurs principes de liberté et d’autonomie et parfois aussi au simple sens commun. Il faut toutefois observer que le confinement avait trouvé sa justification auprès du public dans son rôle sacré de protection sanitaire et que les autorités avaient pris la précaution de se cacher derrière une Haute Autorité de la Santé qui était supposée détenir la vérité, une « vérité » inlassablement assénée par des médias qui avaient parfaitement compris que leur rôle consistait à être les porte-voix du pouvoir : l’expérience de Milgram en grand.   

 

Ainsi, l’épisode du confinement a permis de vérifier qu’il était toujours possible, dans le cadre de la société individualiste actuelle, de faire obéir tout le monde, en forçant les individus à confier entièrement leur sort aux autorités politiques et à faire du jour au lendemain le contraire de ce qu’ils faisaient la veille

 

*Stanley Milgram (1994), Soumission à l’autorité, Calmann-Lévy, 270 pages.

PROCHAIN ARTICLE : RENONCER AU QUÉBEC ? 

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C
Vous pouvez trouver un résumé du livre de Milgram "soumission à l'autorité", à cette adresse :<br /> http://cesarcesar.fr/index.php/manuels-de-combat/52-articles/manuels-de-combat/349-milgram-soumission-a-l-autorite-1974 <br /> Ou directement en tapant César Valentine dans google. Le résumé du livre de Milgram est fait chapitre par chapitre. C'est un bon complément à la lecture de l'ouvrage, et permet une seconde lecture synthétique.
Répondre
A
Merci de cette excellente recommandation. Milgram est plus que jamais d'actualité. <br /> Meilleures salutations