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Le blog d'André Boyer

CHOC CULTUREL À CHENGDU

3 Juillet 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

CHOC CULTUREL À CHENGDU

La suite de mon séjour à Chengdu me permit de rencontrer des ouvriers chinois dans des circonstances particulières.

 

Mon après-midi fut studieux. Je rencontrais les étudiants en Taôisme, qui me semblèrent plus désireux d’aller passer une année à Paris que d’apprendre en France les fondements de la philosophie chinoise, ce qui ne m’a pas étonné. De retour à Pékin, je donnais donc un avis négatif pour leurs bourses d’études. Je rencontrais ensuite le Président de l’Université mais aussi ce haut personnage qu’était le Maire de la ville de Chengdu. Ce dernier, à ma surprise amusée, me demanda de bien vouloir donner une conférence le lendemain sur un sujet qu’il avait choisi lui-même, sans me demander mon avis. 

Je ne me souviens plus de ce sujet qui concernait l’économie, mais je sais que je n’avais aucune lumière particulière sur la question qu’il me demandait de traiter. Je décidais de reprendre le contrôle et de saisir l'occasion pour me livrer à une petite expérience, en donnant le lendemain une conférence visiblement sans queue ni tête, afin d’observer comment l’interprète traduirait mes propos et comment mes hôtes réagiraient à des propos absurdes. Ceci me servirait de test in vivo pour appuyer mon idée de donner des cours en français à des francophones dans le cadre du futur IAE que je projetais en Chine.

Puis, vers 19 heures, après un repas à l’hôtel, je m’enfonçais à pied dans la vieille ville de Chengdu. Pour planter le décor, il faut se souvenir que les Chinois sont généralement chez eux à cette heure tardive et que la plupart d’entre eux dorment déjà. 

Je m’attendais à des ruelles désertes et je savais que ma présence y serait considérée comme incongrue par les passants et par la police, tant le nombre d’étrangers qui fréquentaient la vieille ville de Chengdu en 1985 devait être fort restreint. Si l’on ajoute à ce tableau que j’étais entré le matin par erreur, encore que l’on pût penser que c’était intentionnel, dans une usine souterraine de l’armée chinoise, tout pouvait laisser penser que j’étais une sorte d’espion maladroit et imprudent.

Les rues n’étaient pas si vides que je le pensais à priori. Des groupes de jeunes chinois stationnaient ça et là. Je fus surpris d’être interpellé en anglais par l’un d’entre eux. Je lui répondis avec prudence, craignant un provocateur, compte tenu de mes aventures du matin. Il me posa toute une série de questions sur ce que je faisais en général dans la vie et ici en particulier, je lui répondis en essayant de savoir qui il était. Il se présenta comme un ouvrier qui apprenait l’anglais en vue de quitter la Chine dans le futur, m’invita à m’asseoir sur une chaise pliante devant une petite maison grisâtre à un étage, qui était en piètre état. Puis il m’offrit un verre de thé tout en continuant à discuter. 

Son hospitalité m’inquiétait, car elle était tout à fait inhabituelle pour un Chinois, du moins en 1985. Il m’invita même, proposition incroyable, à visiter sa maison, où habitaient ses parents, son frère et lui-même. Je vis donc une petite salle de huit à neuf mètres carrés remplie de meubles, de vieux vélos et d’ustensiles divers. Puis sur le côté, une porte obstruée par un rideau qui donnait sur une sorte d’appentis dans lequel étaient installés un vieux poêle rouillé à charbon et un lit, fermé également par un rideau où dormait ses parents, pendant ma visite. Une structure en bois entourait le lit, ce qui avait permis d’installer un autre lit, à un mètre cinquante au-dessus de celui où dormait ses parents. Il m’apprit que c’était là que lui-même dormait, à côté de son frère et il ajouta aussitôt : « vous voulez que je trouve une femme, en dormant là ? »

J’étais estomaqué par sa volonté de tout montrer. En Chine, à cette époque du moins, il était impensable de livrer ainsi l’intimité de son cadre de vie à un étranger. 

Nous revînmes sur le devant de la maison. Je m’asseyais à nouveau avec le verre de thé à la main. Nous parlions du niveau de vie des ouvriers chinois. Autour de nous, une dizaine puis une vingtaine de jeunes s’étaient attroupés. Mon hôte leur traduisait mes propos. Il s’agissait de plus en plus de critiquer le gouvernement chinois qui était, à son avis, un ramassis d’incapables. C’était des propos dignes d’un Café du Commerce, mais je pensais qu'ils pouvaient être dangereux pour moi si je les approuvais. Mes commentaires étaient donc très prudents, assez élogieux pour la Chine en général et pour le gouvernement chinois en particulier, ce qui agaçaient visiblement aussi bien mon hôte que ses auditeurs. 

Il finit par me poser une question piège, en me demandant, si en toute franchise, je pensais vraiment que le niveau de vie des ouvriers chinois était supérieur à celui des ouvriers américains. C’était une question piège parce que je savais, la regardant occasionnellement, que la TV chinoise diffusait des séries comme Dallas, qui montrait des ouvriers étasuniens vivant dans de belles maisons individuelles dotées de garages ouverts sur de rutilantes berlines, qui s’étalaient sans vergogne le long de larges rues entourées de gazon. Un autre monde, qui n’avait rien de commun avec les misérables masures posées le long des ruelles défoncées qui s’exposaient à mes regards. 

Il me fallait rester crédible. Avec une nuance dans ma réponse qui voulait signifier que ce n’était pas une question importante, nuance qui manifestement échappa à mes auditeurs, je répondis que oui, en effet, le niveau de vie des ouvriers chinois n’avait pas tout à fait encore atteint (c’était bien le moins que je pouvais dire) le niveau de vie des ouvriers américains. 

Dans mon for intérieur, je trouvais que mon affirmation était évidente. Quelle ne fut donc pas ma surprise lorsque, mon interlocuteur ayant traduit mes propos à son auditoire, ce dernier explosa de colère, spontanément, unanimement! Les jeunes ouvriers chinois ne supportaient pas t’entendre que leur niveau de vie était inférieur à celui de leurs homologues américains! en 1985!  Mon interlocuteur vit dans cette infériorité. la preuve de l’inaptitude du gouvernement chinois à gouverner le pays.

La Chine éternelle s’exprimait dans cette ruelle misérable. L’orgueil. Un double complexe de supériorité revendiquée et d’infériorité constatée. Une xénophobie affleurante.  

 

La nuit était tombée, mon hôte s’offrit à me guider pour rejoindre mon hôtel. Je ne l’avais pas encore tout à fait saisi, mais ces ouvriers naïfs m’avaient livré, en un cri spontané d’indignation, les clés du puzzle chinois. 

 

À SUIVRE

 

PROCHAIN BILLET : LE RENOUVEAU DE LA MARINE FRANÇAISE

 

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