LA LUMIÈRE DE CHENGDU
18 Juillet 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
Mon riche séjour à Chengdu ne s’est pas achevé avec ma visite de la vieille ville et de ses ouvriers. Le lendemain, j’avais encore à honorer une invitation intéressante.
On se souvient peut-être que le Maire de la ville de Chengdu m’avait demandé de donner une conférence. Je la donnais donc, le troisième et dernier jour de mon séjour à Chengdu.
Ce fut une conférence dans laquelle j’énonçais sciemment des propositions incohérentes, l’interprète traduisant imperturbablement sans rien comprendre, le public applaudissant ma prestation avec chaleur et me posant des questions qui n’avaient rien à voir avec ma prestation et auxquelles je répondis n’importe quoi sans hésitation.
Cela me confirma dans l’idée que la relation professeur étudiant devait se faire sans la barrière d’un interprète. Cela peut paraître patent, mais à l’époque on m’objectait que, compte tenu du faible niveau en anglais (ne parlons même pas du français !), il fallait se résigner à donner des cours de gestion avec l’aide d’un interprète et les Canadiens de York University mettaient cette détestable méthode d’enseignement en application avec un zèle borné.
Mon expérience par l’absurde me confortait dans ma détermination de monter un programme de formation à la gestion en français, pour des étudiants chinois francophones, même si cela avait un coût très élevé, puisqu’un an de formation préalable à la langue française serait nécessaire.
Pourquoi en français et pas en anglais ? J'avais une raison externe, parce que je n'avais pas pour objectif de former des étudiants pour les mettre à la disposition des entreprises américaines. Nous n’en étions pas encore à la mondialisation triomphante qui exigeait que chacun parlât anglais, quelle que soit la nationalité d’origine de l’entreprise. J'avais aussi une raison interne, qui venait de ce qu’en France, nous ne disposions pas encore d’une majorité de professeurs en Sciences de Gestion anglophones. Pour avoir la possibilité de choisir nos enseignants, il valait donc mieux donner nos cours en français.
Ainsi, après Chengdu, se précisait ma doctrine relative à l’organisation de la formation à la gestion que je souhaitais développer en Chine, avec pour objectif central d'aider les entreprises françaises à s’installer en Chine.
Encore fallait-il comprendre ce qu’est la Chine, comment elle pense*, afin de prévoir comment les étudiants chinois allaient se comporter à l’égard de notre formation et des entreprises françaises par la suite; afin aussi de mettre nos professeurs en garde contre leur angélisme naturel, qu'il ne convenait pas d'appliquer aux étudiants chinois.
C’est entendu, la pensée chinoise est complexe et même impénétrable pour ceux qui ignorent tout de la vie, de la société, de la culture et de la philosophie chinoise. Il est facile de postuler, comme Hegel, qu’elle n’existe pas, afin d’agir face aux Chinois comme s’ils étaient des personnes décérébrées par la mondialisation.
Il est assurément plus pénible d’observer et d’écouter les Chinois, afin d’essayer de les comprendre, mais c’est un préalable nettement plus réaliste si l’on veut coopérer ou lutter avec eux. Or, après la nuit de Chengdu, je ne pouvais plus ignorer ce que les Chinois m’avaient crié, avec une rageuse ingénuité : nous sommes le centre du Monde, nous devrions être les plus forts et si nous ne le sommes pas, c’est parce qu’une erreur s’est glissée dans la mécanique du Monde. Et vous, qui venez chez nous avec votre argent et votre orgueil, vous n’êtes rien, si ce n’est de grossiers primitifs.
À moins d’être fou, il faudrait tenir compte de ce cri, pour les former, pour les encadrer et, bien entendu, pour les affronter.
*Ci-joint la série de sept billets intitulés « La Chine pense ».
À SUIVRE