LES PROGRÈS DE LA MARINE ROYALE ET DE LA COLONISATION
Pendant la première moitié du XVIIIesiècle, la Marine Royale perfectionne et uniformise ses techniques de construction de navires de guerre.
Maurepas, avec l’aide de Duhamel du Monceau, a substitué à la formation théorique, ponctuelle et locale donnée dans les arsenaux, un enseignement institutionnalisé et uniforme au sein d’une école implantée à Paris. Sous son impulsion, réalisant le rêve de Colbert, la marine de guerre va progressivement éliminer les vieux modèles et entrer dans l’uniformisation des séries de vaisseaux.
Forts de leurs nouvelles expertises, les ingénieurs cherchent à̀ augmenter la manœuvrabilité́ et la puissance de feu des navires, ce qui les oblige à̀ se détourner des trois-ponts trop peu manœuvrants et hors de prix. Grâce à un nouveau mode de construction, les ingénieurs augmentent la longueur des vaisseaux et donc le nombre des sabords, donnant naissance à une nouvelle catégorie de vaisseaux à deux ponts plus puissants.
Après quelques essais, tous les petits vaisseaux, dits de troisième rang, construits avant la guerre de Succession d’Autriche vont être percés à 13 sabords avec un calibre de 24 sur la batterie principale. Puis les expérimentations se portent sur les vaisseaux plus grands, pour donner les deux types de navires les plus représentatifs de la deuxième moitié du XVIIIesiècle : le 74 et le 80 canons, avec des calibres de 36 sur la batterie principale.
Les expérimentations et perfectionnements touchent aussi les petits modèles, comme les frégates. Au Levant (en Méditerranée), on invente des frégates mixtes, dont la batterie couverte possède une alternance de sabords pour les canons et d’ouvertures pour les avirons, qui permettent de compenser les effets des calmes méditerranéens comme de faciliter l’approche des côtes. Au Ponant (en Atlantique), les innovations sont multiples, donnant lieu à huit modèles de frégates qui voient le jour à Brest, Rochefort, Bayonne et au Havre, desquels se dégagent deux modèles, les frégates de 8 livres et de 12 livres, percées à 13 sabords, qui atteignent 25 unités en 1744, début de la Guerre de Succession d’Autriche.
Les nouveaux vaisseaux français sont aussi en mesure de dominer les trois ponts anglais qui ont une ligne de flottaison trop basse sur l'eau, ce qui les empêche d'utiliser leur batterie basse, la plus puissante, par gros temps. Toutes ces innovations donnent une avance technique spectaculaire aux navires de guerre français, si bien qu’un nouveau deux-ponts français de 74 canons peut aisément tenir tête à un trois-ponts anglais de 90 canons, encore que peu de nouveaux navires soient construits pendant les années qui précédent la guerre de Succession d'Autriche (1741-1748).
En outre, les arsenaux sont réorganisés. L’arsenal de Rochefort reçoit de grands hangars pour conserver les bois de construction à l’abri des intempéries. À Brest, de 1738 à 1746, trois cales de construction sont aménagées, tandis que sont construites des forges, le grand magasin aux fers, la menuiserie, le magasin général ou la corderie. À Lorient, on installe une étuve pour courber les bordages.
Le mouvement scientifique qui souffle sur la Marine trouve son aboutissement avec la création de l’Académie de marine à Brest, le 30 juillet 1752, où tous les sujets sont abordés, la construction, l’architecture navale, la santé des équipages, l’hydraulique, l’hydrographie, l’astronomie nautique, la géographie, la physique, les mathématiques pures et appliquées, les manœuvres, l’arrimage des vaisseaux et l’amélioration de l’artillerie.
Cette modernisation assez discrète s’effectue dans un contexte de forte croissance coloniale à partir des années 1720, avec une Compagnie des Indes qui exerce au départ un monopole vers les « Isles » des Antilles et l'océan Indien avant de se recentrer sur le trafic avec les Indes orientales, axé sur les cotonnades, la porcelaine ou le thé, tous produits de luxe de l’époque.
La Compagnie des Indes n'est pas vraiment une affaire privée puisqu'elle est sous la férule du Contrôleur général des finances et que ses plus gros actionnaires sont le Roi Louis XV et la noblesse de Cour. Mais elle a aussi beaucoup de succès auprès de la noblesse de robe ou d'épée, les banquiers parisiens, les grands négociants et dans les milieux les plus divers, puisque Voltaire est également un des actionnaires de la Compagnie.
La Compagnie française des Indes se hausse rapidement au niveau de la Compagnie anglaise, sans atteindre le niveau de la Compagnie hollandaise. Elle parvient à distribuer d’énormes dividendes à ses actionnaires, 41 millions de livres en 1731, soit trois fois le budget de la Marine Royale. En Inde, les succès militaires des troupes de la Compagnie des Indes permettent au Roi de France, sans l'avoir vraiment cherché, de se trouver progressivement en position de force, alors que, par comparaison, les affaires de l'East India Company stagnent.
À l’ouest, la construction de la place de Louisbourg sur l’ile de Cap-Breton destinée à compenser la perte d’Annapolis (prés de Washington) représente un cout gigantesque pour la marine, mais lui permet de contrôler l'estuaire du Saint-Laurent et de protéger l'accès au Canada en abritant une forte escadre. En termes de temps, Louisbourg se trouve à mi-distance de la métropole et de la Nouvelle-France et est le dernier port libre des glaces en toute saison : il enregistre le passage de cinq cents navires par an.
L'exceptionnelle croissance maritime de la France durant la moitié du XVIIIesiècle n’est pas vraiment perçue par l’opinion française, mais elle frappe les observateurs étrangers comme le roi de Prusse, qui note en 1746 que celle-ci est « l'objet de la jalousie des Anglais et des Néerlandais».
Née de la période de paix du début du XVIIIesiècle, l’expansion coloniale apporte une forte expansion à la France avant de devenir un facteur de guerre, du fait de l'hostilité croissante de l'Angleterre.
À SUIVRE