OÙ VA LE LIBAN?
Lorsque se sont produites les explosions dans le port de Beyrouth, le lundi 4 août vers 18 heures, tuant presque 200 personnes, en blessant entre cinq et dix mille et détruisant ou endommageant la moitié de Beyrouth, je m’apprêtais à publier une série d’articles sur le Liban, dont la situation économique, sociale et politique me paraissait déjà particulièrement critique.
L’explosion de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, saisie sur un bateau géorgien et entreposées depuis six ans dans le hangar 12 du port de Beyrouth souligne, peut-être, les failles de l’organisation libanaise, mais ce n’est pas sûr. En effet, les douaniers avaient alerté à six reprises sur le danger que représentait ce stockage, mais leurs recommandations n'avaient pas été suivies d’effet. De plus, les services de sécurité libanais avaient demandé en juin 2019 l’évacuation de l’entrepôt et les réparations de ses fissures. La justice libanaise n’avait pas suivi les services de sécurité quant à l’évacuation mais elle avait ordonné la réparation des fissures, que l’autorité portuaire avait accepté de faire.
Cette réparation était en cours, avec des travaux de soudure qui ont sans doute provoqué l’accident. Souvenons-nous de l’incendie de Notre-Dame de Paris, avant de prétendre que nous aurions fait mieux en France.
Il est certain que cette explosion aggrave fortement la situation générale au Liban et particulièrement celle de Beyrouth, tout en projetant une lumière crue sur les failles d’un système libanais pris à la gorge par des embûches qui le dépasse. En particulier, il ne suffit pas de se rallier au point de vue médiatique qui jette l’opprobre sur un système politique « corrompu » pour avoir la solution des difficultés du Liban. Pour ceux qui ont la mémoire courte, je rappellerai que le même opprobre a été jeté sur la Lybie de Kadhafi, entre autres, et on en voit le mirifique résultat.
Pour ma part, j’aime le Liban pour sa vie, sa lumière et son ouverture au monde. La première fois où je m’y suis rendu, lors d’un congrès de l’Association des Économistes de Langue Française, c’était pourtant à une date catastrophique pour le Liban, en mai 1975, au moment exact où débutait une guerre civile qui a duré quinze ans. Je rappelle notamment dans mon billet intitulé « Tout sauf la thèse » que « déjà le claquement sec des mitrailleuses troublait lourdement nos sorties au célèbre Holiday Inn. » mais que « les bruits de bottes n’ont toutefois pas empêché notre congrès de se dérouler à l’Université Saint-Joseph, dirigée par le célèbre Père Ducruet. Je me souviens d’y avoir rencontré de jeunes enseignants libanais dont le champ d’analyse embrassait le monde entier, d’avoir admiré les merveilles de Byblos au nord de Beyrouth et de Baalbek dans la vallée de la Bekaa ».
J’y suis également retourné après la guerre civile, découvrant un nouveau Beyrouth, doté d’une architecture moderne et assez froide qui cherchait à faire disparaitre les stigmates de quinze ans de destruction.
J’admire la capacité des Libanais à faire face avec courage aux situations les plus difficiles et à s’adapter aux changements du monde, même si je regrette parfois leur manque de rigueur. C’est pourquoi, je suis confiant dans leur capacité à réagir à la crise actuelle qui correspond à une situation particulièrement difficile.
Difficile, elle l’est en effet, puisque la République du Liban s’est tout bonnement déclarée en banqueroute le 9 mars dernier, pour la première fois de son histoire. Aujourd’hui, on ne sait plus très bien quel est le montant de sa dette publique qu’elle ne rembourse plus, mais qui doit représenter quelque part entre 170 % et 270% du produit intérieur brut (PIB).
Cette banqueroute a contribué à faire chuter la valeur de la Livre Libanaise, qui était autrefois indexée sur le dollar à raison d’un dollar pour 1507 livres libanaises. Aujourd’hui, plus personne n’achète de livres libanaises à ce taux, car il est beaucoup plus bas sur le marché parallèle où il lui est arrivé récemment de descendre jusqu’à 9000 livres libanaises pour un dollar. Il en résulte que tous les produits importés ont vu leurs prix multipliés par cinq ou six, faisant plonger d’autant le niveau de vie de tous les Libanais, étant donné que le Liban ne produit presque rien.
S’il ne produit presque plus rien, vous êtes en droit de vous demander de quoi vivaient les Libanais auparavant. Autrefois, le pays vivait de l’agriculture car il dispose d'une situation très enviable du point de vue de l’eau disponible et de la fertilité́ des terres. De fait, il possède la plus grande proportion de terres arables de tous les pays du Moyen-Orient. Outre les forêts de cèdres qu’il s’efforçait de protéger, le Liban produisait des fruits, des légumes, du tabac, des olives, du blé́ et…du haschich. Avant la guerre civile, l'agriculture contribuait au tiers du PIB libanais, aujourd’hui à moins de 5%. Voilà une piste de réforme pour le Liban du futur, la relance de son agriculture, mais aujourd’hui le pays, via l’économie souterraine, importe 85% des biens de première nécessité, avec, répétons-le, un dollar qui flambe, comme en Iran ou en Syrie.
Il existait aussi un secteur industriel dont je ne connais pas l’évolution et un tourisme, qui à lui seul représentait 20% du PIB, mais qui a plongé, du fait de l’instabilité régionale et de l’attractivité des villes du Golfe, Dubaï, Abu Dhabi et Doha.
Il ne restait plus au Liban, du fait de la défaillance de son système de production, qu’à emprunter en faisant appel à la « générosité » de l’énorme diaspora libanaise, quinze millions de personnes, soit plus de trois fois le nombre de Libanais restés au pays, éparpillée en Amérique du Nord et du Sud, comme notre Carlos Ghosn, en Europe et en Afrique. Elle comblait les déficits de la République du Liban jusqu’à peu, mais l’effondrement de la livre libanaise décourage désormais les prêteurs.
Auparavant, au contraire, prêter au Liban était une aubaine, et donc un privilège que se réservaient les riches membres de la diaspora et c’est une des questions qui est débattue avec le plus de passion au Liban au travers du procès intenté au Gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé et d’une manière générale aux riches, aux « corrompus » qu’il faut remette au pas au travers de « réformes ».
À SUIVRE