LA PARTIE D'ÉCHECS BIELORUSSE
Vu par l’utilisateur distrait des medias d’Europe occidentale, si profondément préoccupé par la circulation erratique du COVID 19, la Biélorussie est prise en tenaille entre ses pulsions démocratiques et l’emprise de Poutine, protecteur de Loukachenko. Or, cette vision est à contre sens du jeu d’échec qui est en cours.
Pays du légendaire passage de la Bérézina par Napoléon, couvert de forêts sur prés de la moitié de son territoire, la Biélorussie n’est peuplée que de dix millions d’habitants sur deux cent mille kms2. Elle est devenue indépendante de l’URSS en 1991, mais les relations avec la Russie restent très étroites.
La Biélorussie, contrairement à la Russie, ne s’est pas lancée dans une réforme économique libérale, si bien que les inégalités de revenus y sont parmi les plus faibles d’Europe. Son système de santé est gratuit et performant, preuve en est le bas taux de mortalité infantile de 2,9 pour 1000 naissances (3,6 en France).
Toutes ces données pour vous faire prendre conscience que tout ne va pas si mal en Biélorussie, mais en revanche, les relations politiques entre l’Europe de l’Ouest et la Biélorussie sont agitées. En gros, derrière les divers contentieux, la Biélorussie apparait comme un régime dictatorial incongru en Europe, et la réélection de Loukachenko après 26 ans de pouvoir, une illustration caricaturale de cet anachronisme.
Aujourd’hui, l’utilisateur distrait des medias d’Europe occidentale pense que cette candidate dont il n’arrive pas encore à retenir le nom, Svetlana Tikhanovskaïa, aujourd’hui refugiée en Lituanie, a obtenu la majorité des voix à l’élection et que le seul obstacle à son accession au pouvoir est Poutine, fidèle soutien du dictateur Loukachenko.
Regardons-y de plus près.
Vous croyez Loukachenko au plus mal avec les Occidentaux? C’est vrai aujourd’hui, mais cela n’a pas été toujours le cas. Mais ce que vous ne savez probablement pas, c’est qu’il est surtout au plus mal avec Poutine.
Car Poutine a été de plus en plus exaspéré par le jeu de balance de Loukachenko entre la Russie et les Occidentaux. Alors qu’il recevait une aide financière considérable de la Russie, il n’a même pas soutenu l’annexion de la Crimée par cette dernière, prétendant même jouer les arbitres entre Kiev et Moscou dans les négociations de paix. Pire encore, il a refusé l’installation d’une nouvelle base militaire russe en Biélorussie en 2019, en appelant à l’Occident afin de défendre son indépendance !
Enfin, avec une belle inconscience, Loukachenko rejeta en février 2020, à quelques mois de l’élection, la création d’une confédération russo-bielorusse, grand projet de Poutine. Ce fut le casus belli qui déclencha la partie d’échec qui s’est organisée contre lui, pilotée par le FSB.
La Russie commença par couper tous les crédits à la Biélorussie. Le prix du pétrole et du gaz russes furent revus à la hausse. Puis la propagande entra dans la danse. NTV, la chaine russe contrôlée par Gazprom, diffusa une enquête à charge contre Loukachenko, intitulée « Le Parrain Batka ».
Le FSB se chargea ensuite d’organiser l’opposition biélorusse, afin de ne pas laisser le champ libre à des opposants antirusses. Viktor Babaryko, qui n’est autre que le représentant de Gazprom en Biélorussie, se présenta contre Loukachenko. Il fut accusé de corruption et arrêté. Puis se présenta un second candidat d’opposition, Valery Tsepkalo, ancien diplomate soviétique qui, pour ne pas être arrêté, se réfugia à Moscou avec sa femme Veronika Tsepkalo, figure de la révolution biélorusse,
C’est alors qu’émergea un troisième candidat, Sergueï Tikhanovski, homme d’affaires de réputation douteuse, propriétaire d’une société de production vidéo qui fait des affaires avec de grandes entreprises russes. Un an avant les élections, il revint en Biélorussie avec une forte somme dont il ne pouvait pas justifier la provenance, puis se lança tout à trac dans une campagne anti Loukachenko sur You Tube, dénonçant la corruption des élites et la misère du peuple. Loukachenko l’ayant fait écarter des candidats pour « violation de l’ordre public », il décida de présenter sa femme à sa place, Svetlana Tikhanoskaïa.
Loukachenko laissa faire. Il la connaissait et savait sa nullité en politique, si bien qu’elle pourrait bien lui servir de faire valoir. Mais il se tira une balle dans le pied avec ses résultats truqués qui transformèrent Svetlana Tikhanoskaïa en héroïne de la démocratie, une héroïne qui dû s’enfuir en Lituanie pour ne pas être arrêtée.
Pendant ce temps se constituait à Minsk un « Conseil de transition » composé de l’élite biélorusse, largement cornaqué par Gazprom, qui veille à ce qu’il n’y ait aucune composante anti russe dans l’opposition.
Pour sa part, Loukachenko quémande désormais l’aide de Poutine, ce qui l’a contraint à redevenir anti occidental et pro russe. Il accepte désormais de réviser la Constitution, ce qui impliquera ipso facto une nouvelle élection.
Quant à Poutine, il a maintenant deux fers au feu. Soit un Loukachenko qui accepte, contraint et forcé, la confédération russo-bielorusse, soit une opposition au pouvoir en Biélorussie qui s’empressera de vendre les pépites industrielles du pays aux oligarques russes.
Tel est l’enjeu de l’avenir politique et stratégique de la Biélorussie, loin des rêveries pseudo démocratiques de l’utilisateur distrait des médias d’Europe occidentale.