Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

UN MODÈLE ÉCONOMIQUE EN QUESTION

27 Octobre 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

UN MODÈLE ÉCONOMIQUE EN QUESTION

En sus de son analyse des conséquences du COVID-19, Robert Boyer se risque également à une critique de la gestion de la crise, avec l’exemple de l’économie de la santé, qui représente un coût pour les macro économistes, un coût qui « pèse » sur la richesse nationale.

 

Si les dépenses de santé représentent un coût, il faut donc les réduire, d’où le contingentement des postes de médecin ou le plafonnement des dépenses hospitalières.

Une fois cette position de principe prise et les conséquences tirées, les ministres de l’économie guettent le «spread», c’est-à-dire l’écart de taux entre les emprunts d’Etat des différents pays, avec pour objectif de montrer une économie nationale qui attire suffisamment le capital pour que celui-ci vienne s’investir ici plutôt qu’ailleurs.

Pour cela, il faut limiter au maximum les dépenses publiques de santé, d’éducation, d’équipement ou de justice, car ce sont des « charges », sans prendre en compte que ces dépenses sont la contrepartie des services rendus à la collectivité.

Ce cadre de pensée, qui ne balance pas les bénéfices et les coûts de la dépense publique, fait que les administrations et les politiques ne disposent pas des bons outils d’évaluation. Il a en effet conduit à la mise en place de la gestion par activité dans les hôpitaux qui a engendré un incroyable gaspillage, car un bon indicateur d’une politique sanitaire devrait être le nombre d’années de vie en bonne santé. De même, une bonne gestion consiste à organiser efficacement le travail des équipes médicales pour assurer l’objectif sanitaire de la Nation.

Mais une contingence, l’irruption du virus COVID 19, a renversé le système de pensée des décideurs : jusqu’ici la finance définissait le cadre de l’action publique, y compris en matière de santé. Or, tout d’un coup, l’état sanitaire du pays s’est imposé comme le déterminant du niveau d’activité économique, tandis que les contraintes financières devenaient secondaires.

C’est ainsi que cette crise a révélé la soudaine importance de la santé publique, dont le fonctionnement était superbement ignoré par la théorie économique en vigueur dans les cercles du pouvoir. Cette dernière voulait ignorer en effet que, contrairement à nombre d’autres secteurs économiques, les innovations techniques dans le secteur de la santé engendrent des accroissements de coûts et non des baisses de coûts, du fait de l’objectif d’accroissement permanent de la santé publique : les IRM coutent moins chers qu’au début de leur mise en service, mais ils concernent de plus en plus de patients. On a donc découvert que se donner pour objectif de faire baisser le coût de la santé était une erreur stratégique.

En outre, la pandémie a montré que, dans certaines circonstances, le marché était dans l’incapacité de recueillir et de diffuser les informations nécessaires pour organiser les anticipations des acteurs économiques afin d’allouer efficacement le capital. En effet, avec la pandémie, nous sommes passés d’une économie du risque à une économie de l’incertitude radicale, définie par le modèle de l’épidémiologie qui gère l’incertitude au gré de l’apparition de nouvelles informations, elles-mêmes rapidement remises en question par l’apparition de nouvelles données.

Au départ, le choix des gouvernements était simple, binaire. Entre la vie humaine et l’activité économique, ils n’ont eu d’autre option que de sauver les vies et d’oublier tout autre objectif. Puis ils ont cru que le moment adéquat du déconfinement serait celui où le coût économique, en hausse, allait devenir supérieur au prix de la vie humaine sauvée.

Ils ont cru aussi que les scientifiques allaient leur donner la solution. Or chaque pandémie est unique et les problèmes qu’elle génère dépasse les connaissances scientifiques du moment. Les chercheurs doivent découvrir les nouvelles caractéristiques du virus en même temps qu’il se diffuse, rejeter les modèles du passé et en tester de nouveaux.

Comment décider dans ces conditions, alors que l’on sait que l’on ne sait pas encore ce que l’on saura demain ? Du coup, l’incertitude fondamentale de la science épidémiologique a fait perdre aux politiques la confiance du public. Osciller entre des injonctions contradictoires sur les masques puis sur l’accès aux tests ne peut que déstabiliser la confiance dans la parole publique.

Désormais, au lieu d’un dilemme, « les gouvernements sont maintenant confrontés à un trilemme : à la préservation de la santé et au soutien de l’économie s’est ajouté le risque d’atteinte à la liberté, redouté par une opinion défiante. » Désormais la crise du Covid-19, en nous faisant prendre conscience de la fragilité de la vie humaine, peut changer nos priorités: pourquoi accumuler du capital ? Pourquoi consommer de plus en plus d’objets à renouveler sans cesse ? A quoi sert un progrès technique qui épuise les ressources de la planète ?

 

Finalement, observant l'absence de croissance du Japon  depuis plus de vingt ans, on peut s’interroger sur la validité de son modèle économique, celui où les dividendes de l’innovation technologique ne sont pas mis au service de la croissance mais au service du bien-être d’une population vieillissante…

 

* Robert Boyer, Les Capitalismes à l’épreuve dela pandémie, 200 pages, ÈditionsLa Découverte.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article