LE BROUILLARD AMÉRICAIN
Ce n’est pas en attendant que Trump soit débouté de ses recours électoraux et que Biden arrive au pouvoir que l’on peut avoir une idée claire de la situation des États-Unis, qui est en train de devenir indéchiffrable.
La différence entre les deux élections américaines de 2016 et 2020, est que, en 2016, les commentateurs considéraient avant les élections la victoire de Trump comme hautement improbable, alors qu’ils font en 2020 la même analyse, mais après l’élection. En 2016, ils pronostiquaient la défaite de Trump, aujourd’hui ils pronostiquent qu’il sera obligé d’accepter sa défaite.
Pourtant Donald Trump continuera de prétendre qu'il a gagné des élections qu’il contestera juridiquement jusqu’au bout. Mais supposons qu’il perde tous ses recours juridiques, même face à une Cour Suprême qui est supposée lui être favorable et qu’il se retire dans l’ombre, contraint et forcé.
Dans cette hypothèse largement plébiscitée par l’opinion, que va-t-il arriver après le 20 janvier prochain ?
C’est simple : dès le premier jour, Joe Biden devra faire face à un Sénat hostile et sans doute contrôlé par les Républicains. Car ces derniers se considèrent comme invaincus, parce qu’ils ont gagné des sièges à la Chambre des représentants contrôlée par les Démocrates et qu’ils ont très probablement conservé le contrôle du Sénat.
Cette « armée » républicaine s’appuie sur 48 % de l'électorat américain avec le taux de participation le plus élevé depuis 1900, ce qui signifie clairement que les électeurs des deux côtés se sont fortement impliqués et que les perdants vont difficilement se résigner à voir appliquer une politique contraire à leurs vœux : l’on en verra les conséquences au Sénat et à la Chambre des Représentants, entre autres.
Au Sénat, Joe Biden fera face à Mitch McConnell, le leader de la majorité au Sénat, soutien indéfectible de Donald Trump et spécialisé dans la destruction des plans des démocrates : pendant six des huit années de présidence de Barack Obama, après que les démocrates aient perdu le contrôle du Congrès en 2010, Mitch McConnell a bloqué presque toutes les initiatives de la Maison-Blanche avec pour simple mais logique objectif de faire échouer la présidence de Barack Obama.
Il est donc peu probable que McConnell fasse passer les textes que Joe Biden voudra faire passer, ni confirmer à des postes de haut niveau des personnes qui n'ont pas obtenu l'approbation des républicains. En France, on oublie gaiement que les personnalités désignées par Biden, démocrate, doivent être pour la plupart également intronisées par le Sénat, républicain.
Comme les implications de cette situation politique sont sévères, les Démocrates vont, sans grand espoir, essayer d’emporter le 5 janvier les deux sièges de sénateur qui restent à pourvoir en Géorgie et s’efforcer de persuader un Républicain au moins de faire défection, sachant que le transfuge deviendra instantanément une figure de la haine sectaire au sein du mouvement conservateur.
Il faudra donc que Joe Biden négocie sans cesse. Il a peu de chances dans ces conditions d’obtenir une relance budgétaire importante qui prenne en compte les priorités des Démocrates, d’autant plus que les Républicains, qui ont l'habitude d'abandonner la rigueur fiscale lorsque l'un des leurs est président, la redécouvrent aussitôt lorsqu'un Démocrate accède à la Maison-Blanche.
On peut imaginer, et les démocrates y ont pensé, vendre leurs objectifs prioritaires à M. McConnell en les présentant comme une réponse à la menace de la montée en puissance de la Chine.
Mais Donald Trump a mené la guerre commerciale contre la Chine pour sauver les secteurs industriels américains traditionnels, tout en négligeant les secteurs industriels en émergence, ce qui constitue un point de désaccord fondamental avec les Démocrates. Comme ces derniers vont logiquement avoir tendance à concentrer les subventions vers les industries technologiques émergentes, ils vont provoquer la réaction des Républicains qui s’appuient à l’inverse sur les États qui ont des industries traditionnelles et déclinantes.
On peut aussi imaginer que Joe Biden, enchaîné chez lui par la dure nécessité de la politique intérieure, cherche à déployer ses ailes sur la scène mondiale. Mais dans ce cas aussi, son degré de liberté est faible. Par exemple, il pourra toujours rejoindre l'accord de Paris sur le changement climatique, mais il ne pourra pas forcer un Sénat républicain récalcitrant à financer les énergies alternatives. Il pourra essayer de rejoindre l'Organisation mondiale de la santé, à condition que McConnell autorise le financement de cet organisme par les États-Unis. Il pourrait réintégrer l'Amérique dans l'accord nucléaire iranien, mais tout changement devra être approuvé par le Sénat républicain.
Le fond du problème de Joe Biden est qu’il est bloqué par le résultat des élections présidentielles, qui verront sans doute Donald Trump quitter la Présidence des Etats-Unis alors que les Républicains ont accru leur influence électorale, si bien qu’ils se garderont bien de traiter Donald Trump comme une aberration celui qui a galvanisé leur électorat.
Joe Biden se trouve dans l’incapacité de réaliser l'unité nationale sur laquelle il a fait campagne, une unité mise à mal depuis quatre ans, encore affaiblie par le refus de la quasi moitié de l’électorat de reconnaître la légitimité de l’autre moitié de gouverner, si bien que, dans cette disposition d’esprit, les occasions de conflit ne manqueront pas !
À SUIVRE