VERS UNE MONDIALISATION DISTANCIELLE
La pandémie a fini par révéler un changement fondamental dans le processus de la mondialisation qu’il me semble temps de prendre en compte.
Il est certes difficile de prévoir ce qui va se passer à la fin de la crise de la Covid, encore que l’on commence à entrevoir qu’elle n’est pas près de s’achever et que le retour au statu quo ante relève de plus en plus du vœu pieu.
On peut s’intéresser aussi bien à l’aspect psychosociologique de la crise et ses effets sur les attitudes et les comportements qu’à ses aspects économiques avec ses risques de faillites ou à son influence sur l’éducation de nos enfants.
Mais il existe aussi un aspect international de la crise avec la disparition des citoyens du monde. Nous avons vu, dès les premières alertes début 2020, chacun rentrer dare-dare dans son pays. C’est que, du jour au lendemain, les touristes sont passés du statut d’heureux voyageurs nomades, célébrés en leur temps par Jacques Attali comme étant l’avenir (heureux) des Bobos, à celui d’étrangers indésirables.
Et ils n’ont pas l’air d’être près de revenir ces touristes qui étaient si bienvenus il y a une éternité, enfin presque, je veux écrire avant le début 2020 lorsque la mondialisation heureuse s’est évaporée dans l’air vicié par la Covid-2019.
Depuis, ces touristes sont tous redevenus des étrangers indésirables dès qu’ils s’aventurent hors du sol national. Prenez le cas de deux pays qui me sont chers, le Maroc et le Canada. Le premier adore les touristes, mais il ne peut pas accepter qu’ils importent l’épidémie de Covid chez lui, compte tenu de ses capacités hospitalières limitées. Alors du jour au lendemain, il vient de fermer ses lignes aériennes avec la France, sa principale liaison aérienne internationale. Désormais, comment voulez-vous vous rendre dans un pays dont vous ne connaissez pas la date à laquelle il vous permettra de revenir chez vous ? Adieu les touristes.
Quant au Canada, depuis le 21 février 2021, son gouvernement a publié officiellement l’avis suivant sur le site Internet de son ambassade à Paris :
« Pour protéger les Canadiens contre la COVID-19, le premier ministre a annoncé des restrictions de voyage qui limitent les déplacements en direction du Canada. La plupart des ressortissants étrangers ne peuvent pas se rendre au Canada, même s’ils possèdent un visa de visiteur valide ou une autorisation de voyage électronique (AVE). Ces restrictions interdisent la majorité des voyages non essentiels (discrétionnaires) pour se rendre au Canada. ».
C’est clair : dehors les visiteurs étrangers.
Si vous croyez que toutes ces restrictions vont disparaitre du jour au lendemain lorsque tout le monde sera vacciné, vous risquez d’attendre longtemps, justement le temps qu’il faudra pour que tout le monde soit vacciné. Et il en faudra du temps, avec les retards, les rechutes, les variants du coronavirus, les mises à jour des vaccins, les rappels de vaccination et les contre-indications vaccinales.
Ce n’est pas de sitôt que le ciel international se révèlera d’un bleu profond, sans aucun nuage à l’horizon. D’autant plus que les nuages, loin de les ignorer comme autrefois, on les guettera pour prendre des précautions nécessaires, souvent excessives, en commençant par bloquer le tourisme à coup de passeports vaccinatoires, de tests PCR voire de quelques petites quarantaines désespérantes.
Je n’ai mentionné que les obstacles au tourisme, mais il ne faut pas oublier l’impact à long terme sur les étudiants et les hommes d’affaires. Nous avions tous pris l’habitude d’envoyer nos étudiants dans tous les coins du monde apprendre une autre langue que ce maudit français, qu’ils ne connaissent plus trop d’ailleurs, afin qu’ils comprennent que leur avenir était le monde. Mais Erasmus, les accords entre universités, les séjours linguistiques, tout cela a volé en éclats.
Que l’on revienne au statu quo ante est de plus en plus improbable devant la réticence des universités à accueillir des étudiants de passage, soupçonnés d’apporter leur charge virale, d’autant plus que la parade est toute trouvée : vous êtes les bienvenus à condition de suivre les cours en distanciel. En d’autres termes, bienvenue à Los Angeles, ou même à Londres, à condition que vous suiviez nos cours de chez vous, dans la banlieue parisienne.
Adieu le dépaysement, adieu la découverte d'une autre manière de vivre, adieu L'Auberge Espagnole.
Quant aux hommes d’affaires, combien sont désormais prêts à affronter tous les obstacles bureaucratiques pour aller passer une semaine en Australie où ils risquent à tout moment d’être mis en quarantaine dans un hôtel, alors qu’il leur suffit d’allumer leur ordinateur au bureau pour contacter leurs interlocuteurs ?
Le monde n’a pas disparu avec la Covid-2019, mais ce sera désormais bien difficile de le toucher du doigt ou de s’y immerger. Il restera à le regarder au fond des yeux, derrière notre ordinateur.
Oui, elle réapparaitra à l’écran la mondialisation, hors de portée de nos sens. Se cachant, elle nous intéressera de moins en moins comme de vulgaires séries de Netflix, elle ne sera bientôt plus à la mode avant de disparaître derrière nos écrans éteints et sa déchéance nous obligera enfin à regarder autour de nous, de tous nos sens…