VICTOIRE NAVALE DEVANT CHESAPEAKE
Grasse quitte Brest le 22 mars 1781. Le 28 avril, il arrive sans encombre à la Martinique, avec presque un mois d'avance sur le temps habituel de traversée. En face, se trouvent deux des meilleurs amiraux anglais, Rodney et Hood. Ce dernier, avec dix-huit vaisseaux, fait le blocus de Fort-Royal. Après quatre heures de canonnade, l’Anglais fuit et Grasse lui donne la chasse durant 30 lieues à l’ouest de Sainte-Lucie.
Le blocus levé́, Grasse entre à Fort Royal avec le convoi, puis passe à l’offensive de concert avec le gouverneur des îles, le marquis de Bouillé. Ils tentent un coup de main sur Sainte-Lucie qui échoue, mais prennent ensuite Tobago. On constate par ailleurs que toute la région s’anime d’une intense activité́ militaire, indépendamment de l’arrivée des forces du comte de Grasse.
Le 25 avril, La Motte-Picquet appareille de Brest avec six vaisseaux et trois frégates. Le 1er mai, il intercepte le gros convoi de Rodney chargé du pillage de Saint-Eustache : vingt-deux navires richement chargés sont capturés. Peu après, la Floride est visée par les Franco-Espagnols. Avec quatre vaisseaux et deux frégates, le chef d’escadre de Monteil, à la demande du gouverneur de Louisiane, vient soutenir l’attaque du poste anglais de Pensacola aux cotés de dix navires espagnols. Les troupes espagnoles renforcées de 700 Français s’emparent la place le 9 mai. C’est une belle victoire qui prive les Anglais de base dans le golfe du Mexique.
Sur les côtes américaines, on tente aussi l’offensive malgré́ l’absence de renforts. Les deux escadres, française et britannique, sont à̀ parité́. Ternay, décédé́ pendant l’hiver, a été́ remplacé par Destouches. Rochambeau et Destouches, sollicités par Washington, acceptent de tenter une opération dans le sud contre une petite armée anglaise retranchée à Portsmouth, en Virginie, une attaque qui échoue.
Le 5 juillet, Grasse appareille pour Saint Domingue en escortant un gros convoi qui doit ensuite partir pour la métropole. À ce moment, Grasse n’a pas d’ordres précis pour la suite des opérations, mais il est sollicité par Washington et Rochambeau qui lui proposent un plan qui relève d’un véritable coup de dés : attaquer et encercler les huit mille hommes de Cornwallis qui stationnent dans la péninsule de Yorktown (Virginie) en combinant une marche forcée des troupes franco-américaines avec un blocus naval qui doit tenir la Royal Navy au loin.
Grasse accepte ce plan audacieux, prend en main toute l’opération et en augmente les moyens. Il emprunte sous sa signature 500 000 piastres à des banquiers espagnols et fait embarquer les sept régiments destines à attaquer la Jamaïque, avec un petit corps de dragons et d’artilleurs : 3 200 hommes en tout, avec du matériel de siège, des canons et des mortiers. Le moral, stimulé par les victoires précédentes est très élevé́. L'escadre se sent forte au point de couper au travers des écueils du canal de Bahamas, jusqu'alors inconnu des flottes françaises.
Grasse joue alors sur les distances maritimes qui séparent les
différents théâtres d’opération pour créer la surprise, une surprise comme les Anglais aiment à en créer, afin d'obtenir une supériorité́ décisive face à̀ un ennemi qui ne s’y attend pas. Les troupes de Rochambeau, très éloignées de Yorktown, entament une marche vers le sud de plus de six cent km en laissant de côté́ l’armée anglaise de New York, alors que les quelques centaines de cavaliers de La Fayette et du général Waine remontent vers la baie jusqu’à̀ Williamsburg.
Mais l’essentiel vient de la mer : le 30 août, les vingt-huit navires de ligne et les quatre frégates de Grasse se présentent à l’entrée de la Chesapeake et jettent l'ancre dans la baie de Lynnhaven. Le débarquement des troupes commence aussitôt, sous les ordres du marquis de Saint-Simon. La situation des Français reste pendant plusieurs jours extrêmement aventureuse, car avec 8 000 soldats réguliers et 9 000 Américains loyalistes, Cornwallis dispose de forces très supérieures. L’armée de Rochambeau est encore loin, mais Grasse envoie quatre navires bloquer les rivières James et York.
Pour marcher plus rapidement, les troupes de Rochambeau ont laissé́ leur matériel lourd à Newport. Celui-ci est confié́ à la petite escadre de Barras de Saint-Laurent qui a pris la relève de Destouches et reçoit la tache délicate de transporter le matériel sans se faire repérer par l’escadre anglaise de New York qui, au printemps, avait fait échouer la tentative de Destouches.
Le 5 septembre, alors que l’opération de débarquement n’est pas encore achevée, une flotte se présente à l’horizon : ce sont les pavillons des Anglais Hood et Graves qui apparaissent, avec vingt vaisseaux et sept frégates. Pour ne pas se laisser enfermer dans la baie, Grasse stoppe aussitôt le débarquement, laisse filer les ancres et engage le combat avant que l’escadre anglaise ne bloque la baie entre les caps Charles et Henry. Il dispose de plus de vaisseaux que les amiraux anglais, même en n'engageant que vingt-quatre de ses vingt-huit vaisseaux et si plus de mille marins n'ont pas eu le temps de rembarquer.
Pour sa part, Hood, sûr de lui car il est du côté́ du vent, laisse passer sa chance en attendant que les Français se déploient pour ouvrir le feu. À cette première erreur s’ajoute une confusion dans la compréhension des signaux : l’avant-garde anglaise s’éloigne de son centre et de son arrière-garde alors que les Français commencent à tirer. Après quatre heures de canonnade, la nuit tombante sépare les combattants alors que la bataille est considérée comme indécise, même si l’escadre anglaise compte six vaisseaux très abimés.
Hood et Graves restent encore au large jusqu’au 9 septembre tandis que Grasse cherche à reprendre le combat, mais les deux chefs anglais finissent par rentrer sur New York pour réparer.
Cette retraite signe la victoire française à la bataille de la baie de Chesapeake. La nasse de Yorktown est désormais fermée : Cornwallis ne peut plus attendre aucun secours de la mer.
À SUIVRE