UNE GUERRE GAGNÉE QUI TOURNE COURT
En Méditerranée, les Franco-Espagnols ont pris Minorque en août 1781; en Inde, Suffren arrive sur les cotes en février 1782 avec pour objectif de reconquérir les comptoirs français et néerlandais saisis par la Navy. Cependant, c’est toujours dans les Antilles qu’ont lieu les opérations de grande envergure, tant elles sont essentielles au commerce colonial.
Leur défaite en Virginie a fait prendre conscience aux Anglais que les Treize Colonies étaient perdues. Un armistice de fait s’installe, préparatoire de négociations de paix qui libère la Royal Navy et lui permet de redresser la tête : en décembre, soit à peine deux mois après la victoire de Yorktown, Le convoi de Brest, mal escorté par Guichen est en partie capturé par Kempenfeld et prive Grasse d’un important ravitaillement alors que son escadre a reçul’ordre d’attaquer la Jamaïque, la plus forte possession anglaise du secteur. Pourtant Guichen n’est pas destitué, le faible Louis XVI l’absolvant de ses erreurs.
En février 1782, un autre convoi part de Brest avec des renforts pour les Antilles et les Indes, tandis que côté anglais l’effort de guerre s’intensifie : tous leurs vaisseaux sont maintenant doublés de cuivre et porteur de caronades, alors qu’aucun navire français ne dispose de cette arme. Insensiblement, la balance des forces navales penche à nouveau en faveur de l'Angleterre.
Quoi qu’il en soit, Grasse, qui dispose encore de la supériorité numérique, assure la protection des convois et cherche à passer à l’offensive avec les troupes de Bouillé. Il attaque Saint Christophe (Saint-Kitts). Le 11 janvier, l’escadre se présente devant la petite ile. Grasse, avec vingt-six vaisseaux, couvre le débarquement tandis que les troupes de Bouillé refoulent la garnison anglaise vers l’intérieur de l’ile. Le 25 janvier, Hood se porte au secours de la position avec vingt-deux navires, réussît à se glisser entre l’escadre française et l’ile, mais Grasse attaque alors que les Anglais se disposent à jeter l’ancre. Hood réussît finalement à s’échapper, après avoir endommagé plusieurs vaisseaux français. La garnison anglaise capitule le 12 février et les iles voisines de Nevis et Montserrat sont saisies par Barras de Saint-Laurent. Simultanément à ces combats, le comte de Kersaint délivre les établissements néerlandais d'Essequibo et Démérara qui avaient été capturés par les Anglais en 1781. Le 22 janvier, il débarque aussi sur la cote guyanaise une petite troupe qui force les garnisons anglaises à la capitulation.
L’essentiel se joue ailleurs car Hood fait peu de temps après sa jonction avec Rodney qui arrive avec des navires neufs d’Angleterre et prend le commandement général. Ce dernier, qui dispose maintenant de trente vaisseaux concentre ses forces à la Barbade. Grasse regroupe ses unités à la Martinique, soit trente-cinq vaisseaux, et se décide à tenter la conquête de la Jamaïque, en coordination avec les forces espagnoles de l’amiral Don Solano qui dispose de douze vaisseaux et de 15 000 hommes.
Encombré d’un lourd convoi marchand, Grasse prend la mer le 7 avril 1782 pour Saint-Domingue et, le 9 avril, l’escadre anglaise est repérée à l’ouest de la Dominique. La bataille, à la suite d’une série d’incidents tourne à l’avantage des Anglais, tandis que les Français perdent sept grosses unîtes et que l’amiral De Grasse est fait prisonnier. Il sera libéré au bout de quelques mois.
Vaudreuil, qui commande l’arrière-garde ne peut que se retirer pour sauver le reste de l'escadre. Il prend le commandement et Bougainville le rejoint quelques jours plus tard avec l'avant-garde. Les deux hommes font sans encombre leur jonction avec la flotte espagnole et le convoi marchand qui suit, sain et sauf. Le bilan de la journée est extrêmement lourd : 2 000 morts, 7000 blessés et 5 000 prisonniers. C’en est fait du projet de débarquement sur la Jamaïque. La bataille des Saintes rend le sourire à l'amirauté anglaise, tandis que cette défaite provoque un sursaut côté français : le Roi ordonne de construire douze vaisseaux pour remplacer les sept qui ont été perdus.
La bataille des Saintes ne gèle pas totalement les opérations navales. Vaudreuil décide d’attaquer les établissements anglais de la baie d'Hudson, mais il est hors de question de se lancer à la reconquête du Canada, action qui serait perçue comme une rupture de l’alliance avec le gouvernement américain ! Quant à Lapérouse, qui capture les établissements anglais de la Baie d’Hudson, il est loué aussi bien pour le succès de l’expédition que pour le traitement humain des prisonniers…
Arrêtons-nous un instant sur la signification de ce petit évènement qu’est la prise de la Baie d’Hudson. Les Français se refusent à reconquérir le Canada pour de profondes raisons stratégiques, car ce dernier compte moins que les Antilles dans la France de 1782, mais aussi parce qu’ils ne veulent pas se fâcher avec les futurs Etats-Unis, qui pourtant leur doivent l’indépendance. D’autre part, on se loue à Paris de l’humanité de Bougainville envers ses prisonniers anglais, tandis que les Anglais maltraitent sans vergogne les cinq mille prisonniers de la bataille des Saintes, qui mourront presque tous du fait des mauvais traitements qu’ils subissent.
La France révèle ainsi la faiblesse de sa volonté stratégique alors qu'elle a les moyens d'agir, se couchant devant ses alliés américains, espagnols et hollandais et s'attendrissant sur le sort de ses prisonniers. On ne peut que constater que la grandeur morale de la France constitue une faiblesse majeure face à l'impitoyable détermination anglaise.
À SUIVRE