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Le blog d'André Boyer

LE CHAT DE MADAME CROCHEMORE

13 Décembre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

LE CHAT DE MADAME CROCHEMORE

En ce mois de janvier 1990, me voici dans la salle de conférences de l’Université Nankai à Tianjin négociant avec une brochette de cadres chinois.

 

Heureusement, pensais-je naïvement, il n’y avait rien à négocier, sauf, peut-être, des ajustements minimes de l’accord signé un an et demi auparavant. Les préliminaires me donnèrent provisoirement raison. Ils prirent en effet la forme d’odes à la coopération, de célébration de l’amitié si profonde entre les peuples chinois et français et de protestations insistantes quant à l’infinie bonne volonté chinoise.

Néanmoins, ces préliminaires plus longs qu’à l’habitude commençaient à m’inquiéter, quand l’exposé de la situation de notre petit groupe d'étudiants commença. Puis vers 10 heures 30, au bout d’une heure d’échanges banals, je fus alerté par le changement de tonalité vocale de l’interprète. Je tendis alors l’oreille pour découvrir que le sujet dont traitaient mes interlocuteurs avait quitté le champ des banalités pour se concentrer sur une question aussi précise que singulière : il était question du chat de Madame Crochemore !

Le lecteur attentif a en effet déjà appris que Madame Crochemore s’était installée en septembre 1989 à Tianjin, en compagnie de sa fille et de son chat. Quatre mois plus tard, je découvrais que le chat de Madame Crochemore, notre professeur de français, créait des soucis à nos hôtes chinois. J’utilisais alors les intervalles en chinois, entre deux traductions de l’interprète, pour comprendre les intentions de mes interlocuteurs, m’y adapter et les utiliser.

Leur discours était en effet extraordinaire, dans le cadre d’un échange entre universitaires sur la coopération franco chinoise en matière de formation à la gestion. Il est à peine utile de préciser que mon rapport au Ministère des Affaires Étrangères sur cette affaire fit le tour des bureaux.

Le chat de Madame Crochemore gênait. Je comprenais suffisamment la mentalité de mes hôtes pour comprendre ce que cela voulait dire. Oui, ce chat gênait et ils en parlaient avec des mines effarouchées. De sexe masculin, il faisait sans vergogne sa cour aux chattes chinoises. Lorsque je fis remarquer que ce comportement relevait des lois de la nature, on me rétorqua que ce chat était fort peu discret lors de ses ébats, perturbant les nuits tranquilles de Tianjin et l’on ajouta, soupçonneux, qu’il risquait fort, un jour, ou plutôt une nuit, de détériorer avec ses griffes le sofa mis à la disposition de Madame Crochemore par l’université.

Il faut savoir ici que le sofa était l’un des objets sacrés de tout foyer chinois qui se respectait, avec la machine à laver, la TV et le vélo. Qu’un chat, non chinois de surcroit, se permette de le détériorer, constituait plus qu’un dégât matériel, un forfait. Faisant observer pour ma part que cet acte répréhensible n’avait pas encore été commis par le chat en question, on objecta que ceci pourrait bien se produire, compte tenu du comportement permissif de l’animal. On n’ajouta pas, mais je le compris clairement, que le comportement du chat était fort probablement le résultat fatal d’une éducation laxiste, bien française.

L’argument massue vint comme toujours à la fin. De toutes manières, m’asséna-t-on, un règlement interdisait la présence de chats dans l’immeuble où se trouvait Madame Crochemore. Depuis quand, demandais-je ? depuis trois jours…

Cependant, nos amis chinois, le cœur empli de bonne volonté, voyaient bien une solution pour régler cette question dont la responsabilité revenait entièrement à la partie française, coupable de laxisme à l’égard de ce chat qu'elle avait importé. Il leur paraissait raisonnable de compenser les nuisances du chat en versant une juste indemnité à l’Université Nankai. Ils proposaient d’accepter 20 $ par jour, soit 7000 $ environ par an, pour tolérer la présence de ce chat !

Ainsi, par cupidité, l’Université Nankai m’offrait sur un plateau un prétexte rêvé pour rompre avec eux et installer notre IAE à Pékin ! Il était plus de midi, l’affaire du chat nous avait occupé une bonne partie de la matinée. Je demandais une pause dans nos discussions pour, prétendais-je, consulter le Ministère des Affaires Étrangères (MAE). Naturellement, je n’en fis rien. Je me contentais de déjeuner puis de rédiger un courrier exprimant, théoriquement, la position du MAE, qui rejetait totalement la demande de l’Université Nankai, précisant, pour enfoncer le clou, que cette exigence, si elle était maintenue, remettrait en cause la totalité de notre coopération avec ladite université et par ricochet, les accords franco-chinois relatifs à la formation à la gestion.

Je remis ce document à l’interprète lorsque les discussions reprirent vers 13 heures. Naturellement, mes interlocuteurs ne pouvaient en prendre connaissance qu’à la pause, par les bons soins de l’interprète. Poussés par la curiosité, Ils demandèrent rapidement une suspension de séance, puis reprirent les discussions sans revenir le moins du monde sur le sujet du chat et sans montrer la moindre contrariété.

Nous finîmes nos échanges vers 16 heures, je repris le train de Pékin, puis l’avion pour Paris. Un mois plus tard environ, le MAE et la FNEGE reçurent un courrier les informant que l’Université Nankai mettrait fin à sa coopération en juillet 1990.

C’était exactement ce que je voulais. Lors de notre rencontre, j’aurais pu temporiser ou marchander, mais j’avais sciemment traité mes interlocuteurs avec brutalité, sachant qu’ils ne le supporteraient pas. Puisque leur rapacité m’avait offert l’opportunité de rompre, je l’avais saisie…

En juin 1990, je revins à Tianjin pour officialiser la fin de notre programme à l’Université Nankai. Madame Crochemore était déjà rentrée en France. Nous fîmes de nombreux toasts en buvant force alcool de riz, toasts qui délièrent la langue de mes interlocuteurs. Dans cette affaire ratée de demande d’indemnité pour un chat, qui leur avait couté le programme franco-chinois de gestion, ils tenaient à avoir au moins le dernier mot.

Ils me racontèrent donc, en le présentant comme un horrible scandale, que l’Université Nankai avait dû payer sur le train Tianjin Pékin un siège soft seat (première classe) pour le chat à côté de celui de Madame Crochemore, siège qui avait dû leur couter 5$. Ils ajoutèrent que de nombreux chinois, assis, eux, sur des sièges hard seat (seconde classe) avaient défilé dans le compartiment de première classe pour constater de leurs yeux ce sacrilège, un chat étranger assis sur un siège moelleux, tandis qu’ils devaient pour leur part poser leurs postérieurs sur de durs sièges en bois !

Je convins qu’en effet il s’agissait d’un immense désordre, qui justifiait tout à fait leur position sur l’affaire du chat de Madame Crochemore. Nous nous quittâmes bons amis et je pus installer en toute sérénité notre IAE à Pékin pour le mois de septembre 1990.

 

Il s'y trouve toujours...

À SUIVRE

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