LA FRANCE, FUTUR REFUGE INDUSTRIEL
18 Février 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ
On ne peut pas croire que l’État français ait délibérement affaibli EDF, alors qu’il détient 83,27 % de ses actions, mais tout se passe comme s’il en était ainsi. L’explication réside sans doute dans les perspectives de très court terme de nos dirigeants politiques.
On peine à se convaincre qu’un homme politique intelligent, à la tête de l’État, ne soit pas en mesure de voir au-delà de l’horizon électoral. Mais comment expliquer autrement que l’on ferme la centrale nucléaire de Fessenheim le 29 juin 2020 pour annoncer aujourd’hui qu’il faudra prolonger autant que possible la durée de vie des réacteurs en service, créer six centrales nucléaires de plus d’ici 2050 et étudier en outre la création de huit autres centrales supplémentaires ? Comment expliquer autrement que l’État ait accepté qu’Alsthom vende 585 millions d'euros en 2015 à General Electric les turbines Arabelle pour centrales nucléaires pour les faire racheter par EDF 1,050 milliard d'euros en 2022 ?
Si ces faux pas ne s’expliquent pas par une vision à courte vue, quelle explication faut-il retenir ?
Dans ce billet, offrons-nous donc le luxe d’une vision à plus long terme. Nous possédons en effet un certain nombre de données qui permettent de dessiner des tendances pour le futur en matière d’énergie :
- Tout d’abord, en matière de demande d’énergie, cette dernière ne peut que croitre, tant que la croissance démographique se poursuivra. Regardons par exemple la situation de l’Afrique où deux facteurs sont réunis pour la croissance de la demande électrique, la croissance de la population et son faible équipement électrique : une demande croissante d’énergie donc, en particulier pour l’énergie électrique.
- L’offre d’énergie est susceptible d’augmenter, en produisant de l’énergie dite verte (éoliennes, hydroélectriques, biomasse), de l’énergie nucléaire relativement propre sauf en ce qui concerne les déchets, mais cela devrait s’améliorer avec les nouvelles centrales, et en continuant à extraire du gaz, du pétrole et du charbon malgré leurs effets nocifs sur l’atmosphère. La question se pose de l’arbitrage entre les différents types d’offre énergétique, si l’on a le choix. Mais aura-t-on le choix ?
- Le choix dépend d’une part de la pression sans doute forte exercée par la demande et d’autre part de la volonté de protéger l’environnement, qui sera plus ou moins diffuse selon les contraintes régionales et la capacité des décideurs politiques à résister à la pression de la demande. En Europe, la décision du gouvernement allemand de fermer ses centrales nucléaires et de ne pas en construire de nouvelles incite à l’utilisation d’autres sources d’énergie comme les énergies propres et le gaz, mais aussi à limiter la consommation énergétique, si les États et l’Union Européenne parviennent à l’imposer. Cet arbitrage entre la pression de la demande et la rareté choisie de l’énergie sera sans aucun doute porteur de tensions.
- La décision de l’UE de modifier à marches forcées l’énergie utilisée par les automobiles illustre de manière exemplaire la stratégie choisie, qui est clairement une stratégie du choc. D’un côté, l’énergie électrique se fera rare en Europe, principalement en raison du choix allemand de se priver volontairement de l’énergie atomique, et d’un autre côté la demande de consommation électrique augmentera fortement du fait de la recharge des véhicules. Il y a donc une contradiction vigoureuse entre la politique énergétique de l’Allemagne et la demande d’électricité en Europe, à moins de vouloir provoquer une pénurie.
- Pour échapper à cette pénurie apparemment voulue, l’intérêt de la France demande, par rapport à l’offre, de préserver ses capacités de production nucléaire et par rapport à la demande de cloisonner son marché intérieur par rapport au marché européen afin de vendre ses éventuels excédents d’énergie électrique à prix élevé aux consommateurs européens.
Il est ainsi paradoxal que l’Allemagne, pays industriel s’il en est, ait choisi du fait de la myopie de son gouvernement, de saborder les bases de son industrie, autrefois construite sur la grande disponibilité de son charbon, en la grevant aujourd’hui d’un coût énergétique insupportable : Bismarck aurait mené une politique inverse.
Que la France se rende donc indépendante du marché européen et ce sera pour elle l’opportunité, adossée sur ses cinquante-six centrales nucléaires, de récupérer son outil industriel.