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Le blog d'André Boyer

RECONNAITRE UN CYGNE NOIR

12 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

RECONNAITRE UN CYGNE NOIR

Un Cygne Noir est un évènement aberrant, qui a un fort impact sur les évènements futurs et que nous cherchons, à posteriori, à rendre explicable, donc prévisible.

 

Par exemple, la guerre de 1914 était imprévisible, ou plus exactement son avènement, son ampleur et ses conséquences étaient imprévisibles et de multiples historiens ont cherché à l'expliquer, après.

Je me suis souvent attaché à prévoir la survenance de Cygnes Noirs. Par exemple, j'ai écrit en 1981 un article sur la future chute de l'URSS, intitulé "L'URSS de papier", qui n'a eu aucun succès malgré mes nombreux efforts pour le publier. Presque tout le monde pensait, avant sa chute, que l'URSS était installée pour l'éternité et les mêmes, à ma grande indignation, m'ont expliqué ensuite pourquoi elle était inévitable et prévisible ! J'avais également prévu dans ce blog, dès le début de la guerre en Syrie, qu'Assad ne tomberait pas et j'ai expliqué pourquoi. Cependant le but de ce billet n'est pas de m’auto glorifier mais de montrer que les Cygnes Noirs sont parfois prévisibles.

La première règle à poser est qu'aucune vérité unanimement reconnue par tous ne doit être acceptée à priori.

Il arrive cependant que ce que tout le monde pense soit vrai, mais il s'agit d'évidences sans intérêt. Par exemple, "le soleil se lève chaque matin" est un "Cygne Blanc" qui ne mérite pas d'être discuté, du moins au moment où j'écris ces lignes.

En revanche l'issue de la guerre en Ukraine mérite de l'être. Ce qu'écrivent les commentateurs en Europe est par définition partial, puisqu'ils sont en désaccord total avec l'un des acteurs majeurs, Poutine. Il nous faut donc examiner la question plus au fond, sous les angles stratégiques, politiques, culturels, économiques et recueillir des données. Mais, pour le moment, j'avoue que je n'ai pas recueilli assez d'informations pertinentes pour écrire quelque chose d'utile sur le sujet et donc je n'écris pas. Car, tant que je ne vois pas apparaitre de Cygne Noir, à quoi cela servirait de répéter à mon tour que tous les cygnes sont blancs ?

L'histoire est opaque. Nous croyons comprendre le monde parce que nous le simplifions. Comme sa complexité nous échappe, nous sommes contraints de nous contenter de l’analyser à posteriori et selon nos schémas pré établis, si bien qu'à la fin nous n'avons rien appris des évènements. Car l'histoire n'est pas linéaire, elle saute de fracture en fracture. Quels Romains ont prévu que le christianisme deviendrait la religion dominante en Méditerranée et que, sept siècles plus tard, une escouade de cavaliers étendrait la loi islamique de l'Espagne ou sous-continent indien et qu'elle y serait toujours en vigueur treize siècles plus tard ?

Le premier problème que l'on rencontre lorsque l'on essaie de prévoir l'avenir est celui du passé. L'homme observe les expériences de sa vie et en déduit ce qui l'attend dans ce monde. La dinde aussi, comme l'observe Russel*. Comme elle est nourrie tous les jours, elle en déduit que la règle générale de la vie consiste à être nourrie quotidiennement par de sympathiques êtres humains qui veillent sur ses intérêts. Cette croyance de la dinde se renforce chaque jour un peu plus, au fur et à mesure où elle constate qu'on la nourrit sans relâche amicalement, si bien que sa confiance s'accroit jusqu’au jour où, le mille unième jour, il lui arrive quelque chose d'inattendu, le « gentil » fermier cessant de la nourrir.

On peut tirer de la triste histoire de la dinde des conséquences sur la nature de la connaissance empirique : quelque chose fonctionnait dans le passé jusqu'à ce que, contre toute attente, ce ne soit plus le cas. C'est ce qui nous guette lorsque nous formulons des conclusions sur la seule base des données concernant le passé.

Un exemple d'actualité : les Français se croyaient à l'abri de toute pénurie énergétique avec leurs 56 centrales nucléaires et tout d'un coup ils apprennent que l'électricité risque de manquer, tandis que les artisans découvrent que les prix de l'électricité vont quintupler pour eux. Quelque chose leur a échappé dans le passé qui a un impact surprenant pour eux aujourd'hui.

Un autre exemple, célèbre : en 1907, E.J. Smith, futur capitaine du Titanic, fit la déclaration suivante :

" Pendant toutes ces années passées en mer, je n'ai vu qu'un seul navire en détresse. Je n'ai jamais vu de bateau échoué et je n'ai jamais échoué moi-même, ni été dans une situation difficile qui menaçait de tourner au désastre"

En 1912, il l'a vu.

 

D'où notre deuxième règle pour avoir une chance de reconnaitre le Cygne Noir avant qu'il ne produise ses effets, négatifs ou positifs : nous ne connaissons tout simplement pas la quantité d'information que recèle le passé.

 

*"L'homme qui a nourri le poulet tous les jours de sa vie finit par lui tordre le cou, montrant par là qu'il eût été bien utile au dit poulet d'avoir une vision plus subtile de l'uniformité de la nature" (Bertrand Russell, Problèmes de Philosophie, 1989)

 

A SUIVRE

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