Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

DIRECTEUR OU PROFESSEUR

12 Mars 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

PERPLEXE OU DÉTERMINÉ ?

PERPLEXE OU DÉTERMINÉ ?

Avec un peu d'autodérision, je me rends l’hommage suivant : jusqu'ici, jamais je n’ai manqué de me poser des questions existentielles du genre « pourquoi suis-je ici et pas ailleurs ? ».

 

À Strasbourg, il a fallu peu de temps pour que je me sente écartelé entre le métier de directeur d’École de Commerce et celui de professeur. En outre, si l’on se souvient que j’effectuais des déplacements Strasbourg-Nice aller-retour pratiquement toutes les semaines, ma vie était éclatée entre les deux villes. Je n'étais jamais au bon endroit.

Il me fallait choisir, Strasbourg ou Nice, ce qui signifiait qu'il me fallait décider si je voulais être directeur ou professeur. J'avais accepté la direction de l'IECS par défi, mais je voyais bien que je préférais le métier de professeur à celui de directeur, alors qu'aujourd'hui, à un moment où je suis parvenu au-delà de la fin de ma carrière de professeur, le métier de direction me convient mieux.

Je trouvais alors la problématique de manager un peu vaine, avec ses solutions en demi-teinte qu'il fallait toujours remettre sur le tapis. Car, en management, je le sais depuis longtemps, il n'y a jamais de bonne solution, il n'y a que de moins mauvaises solutions, et pire encore, de moins mauvaises solutions provisoires.

Professeur, c'était plus clair, je préparais, donnais et terminais un cours comme une démonstration qu'il fallait "vendre" aux étudiants. Une fois le cours achevé, c'était fini, je passais à autre chose, le coeur tranquille. De même, j'écrivais un article, qui, une fois achevé et publié, permettait à mon esprit de se tourner tranquillement vers un autre problème. Lorsque, par ailleurs, je montais des programmes à l'étranger que j'avais conçus ou réalisés à la demande, Je pouvais songer à de nouveaux défis dès lors que les précédents avaient abouti.

Directeur, c'était un travail sans fin. Injustement, je n'admirais guère mes collègues directeurs des autres écoles dont je trouvais l'agitation assez vaine. Aujourd'hui, je pense autrement, car je réalise plus clairement la performance que représente le management d’une école. Le seul élément positif de la direction, en dehors du salaire et du pouvoir, me semblait alors se situer dans le travail d'équipe qui permettait des victoires collectives.

Un grave incident qui se déroula quelques mois avant mon départ de la direction montre bien la différence fondamentale entre le métier de professeur et de directeur, autour des notions de responsabilité et de décision, sinon de victoire collective :  

L'IECS avait organisé une soirée étudiante, à laquelle j'avais participé comme une bonne partie du personnel de l'école. Parmi les étudiants, une étudiante autrichienne s'était sentie mal dans la nuit et le matin, j'ai appris par le Secrétaire Général, Jean-Pierre Kennel, qu'elle était décédée, victime d'une méningite. Ce matin-là, j'avais un cours de trois heures à donner pour les DEA de gestion et je demandais à Jean-Pierre Kennel d'interroger la préfecture pour déterminer la procédure à suivre, en raison des risques de contagion qui étaient notamment liés à la soirée à laquelle cette étudiante avait participé.

En tant que professeur, j'aurais attendu de connaitre à la fin du cours le résultat de notre investigation. Mais en tant que directeur, j’étais taraudé par la sourde inquiétude que le processus lancé ne se passe pas comme prévu. Ce dernier sentiment l'emporta, ce qui me fit interrompre rapidement mon cours.

Bien m'en avais pris, car j'appris que la préfecture ne répondait pas, empêchée, me disait-on, par une réunion urgente à laquelle les fonctionnaires concernés ne pouvaient pas se soustraire. Je compris que ces fonctionnaires refusaient d'assumer la responsabilité des mesures à prendre et je décidais de les forcer à la prendre : je fis aussitôt envoyer un message signalant au Préfet que je fermerai l'IECS à midi si aucune instruction ne nous était transmise de sa part.

Aussitôt ces fonctionnaires trouvèrent les moyens d'interrompre leur réunion et ils envoyèrent dans l'heure qui suivit une équipe pour administrer un sérum à toutes les personnes présentes. Pour notre part, nous décidâmes, aux frais de l'IECS, de vacciner tous les étudiants et tout le personnel, dès que possible.

Ces décisions prises, exécutées ou en voie de l'être, je reçus un appel téléphonique en fin de matinée de la part de la rédaction de TF1, qui me demanda d'un ton accusateur s'il était bien vrai qu'une étudiante était morte et quelles étaient les mesures que je comptais prendre.

Vous imaginez quel aurait été le communiqué de TF1 pendant le journal de 20 heures si, à l'école, on lui avait répondu que le directeur était pris par un cours et que l'on espérait recevoir bientôt des instructions de la Préfecture afin de passer à l'action. Au lieu de cela, ils me joignirent directement et lorsque je leur expliquai les mesures qui avaient déjà été prises et les mesures à venir, ils me firent savoir assez sèchement, que tout compte fait, le sujet était sans intérêt pour eux.

Dans cette situation, après un moment d'hésitation entre mes devoirs de directeur et de professeur, j'avais rapidement donné la priorité au premier afin de limiter les risques pour les étudiants et le personnel et j'avais évité en outre une très mauvaise publicité pour l'école.

C'est ainsi que j'étais partagé. D'un côté, je me sentais mieux dans le rôle de professeur, d'un autre côté je ressentais ma démission éventuelle de directeur comme une désertion en rase campagne. Je ne cachais pas mes interrogations  au Conseil d'administration et ce dernier me chercha un remplaçant; il envisagea de recruter le directeur de l'ESC du Havre, mais cette piste ne s'avéra pas praticable. Pour ma part, j'envisageais un moment de prendre un poste de professeur à Strasbourg, ce qui m'aurait laissé choisir à ma guise le moment de la sortie, mais, on l'a vu, c'était au-dessus de mes forces que d'abandonner définitivement Nice. Mais c'était aussi au dessus de mes forces que de démissionner de la Direction de l'IECS.

 

J'avais ainsi l'impression d'avancer dans une impasse, et avec moi l'école que je dirigeais, jusqu'au moment où un curieux processus interne me donna la force de m'arracher à l'IECS.

 

À SUIVRE

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
V
Un bel article qui me parle et me touche. Merci André pour ce témoignage sur une mission difficile à comprendre tant qu'elle n'est pas vécue :-)
Répondre
A
Merci David. <br /> Nous partageons en effet le même type d'expérience et le même effort de mutation!<br /> Amitiés, <br /> André