UNE SAINTE RÉVOLUTIONNAIRE
La levée de trois cent mille hommes pour affronter l’ensemble des pays européens auxquels la Convention a déclaré la guerre et non l’inverse, engendre de nombreux troubles.
Les plus graves éclatent dans le Midi et en Vendée. À Lyon, des affrontements opposent les partisans et les adversaires de la Convention. En Alsace, à Montargis ou à Orléans, on se soulève contre la conscription.
Mais la Convention se sait inexpugnable tant qu’elle dispose du soutien des sans-culottes parisiens et de leurs homologues en province. D’où l’importance stratégique de la crise des subsistances : il ne faut pas perdre le soutien des faubourgs, sinon adieu le pouvoir !
La pénurie de pain entraîne de violentes scènes de pillage et l’apparition de la faction dite des « enragés », dénonciatrice des accapareurs et des spéculateurs. La rue arrache à la Convention des décrets fixant le maximum des prix, dans une atmosphère de conflit exacerbé entre les Girondins et les Montagnards.
Une commission dite de sécurité est chargée de prendre « les mesures nécessaires à la tranquillité publique ». Elle ordonne le 24 mai 1793 l'arrestation d'Hébert, l'homme fort de la Commune, mais une manifestation de rue aboutit à la libération d'Hébert. C’est dire le pouvoir de la rue parisienne !
Le 2 juin 1793, un nouveau coup de force des sections parisiennes contre la Convention provoque la défaite des Girondins à Paris : à l'aube du 2 juin 1793, rassemblés par Marat, les bataillons d'Hanriot prennent place autour des Tuileries, canons braqués sur le château jusqu’à ce que la Convention se résigne à voter le décret d'arrestation de vingt-neuf de ses membres et de ses deux ministres.
Mais en province, les deux tiers des départements français se soulèvent : à Lyon, le maire montagnard Chalier a été renversé dès le 28 mai. À Marseille, la chasse aux Jacobins est ouverte. Paoli en Corse a pris la tête d’un gouvernement indépendant. Toulon passe aux mains des royalistes le 12 juillet. Bordeaux, fief des Girondins, forme une Commission de Salut Public qui appelait les autres départements à se concerter. Le 13 juin 1793, l'assemblée des départements réunis est convoquée à Caen, où les cinq départements de Normandie levaient une armée fédéraliste. Le mot d’ordre est de former contre Paris une fédération de départements plus ou moins autonomes et égaux. Cette tentative a juste le temps de se constituer qu’elle est prise entre deux feux, les royalistes qui s’appuient sur le succès des Vendéens et les Montagnards qui appellent à la solidarité des républicains.
L’acte de Charlotte Corday, qui poignarde Marat, s’inscrit dans l’atmosphère ou l’indignation fait face à la terreur. Charlotte Corday est la descendante en ligne directe de Pierre Corneille. Issue d’une famille noble et pauvre, elle vit dans une petite maison dans le Pays d’Auge. En 1791, à 23 ans, elle défend ardemment ses idées constitutionalistes dans un milieu où l’on compte beaucoup de royalistes.
Mais les massacres de nombreux prisonniers à Paris, entre le 2 et le 7 septembre 1792, soulèvent un opprobre quasi général auquel se joint Charlotte Corday qui est révoltée de lire dans l'Ami du peuple, le journal du député jacobin Jean-Paul Marat, l’approbation de ces massacres et l’appel à en faire de même dans toutes les prisons françaises.
Son indignation la convainc de répondre à la violence par la violence, et tout naturellement elle choisit Marat comme cible. Elle se rend à Paris pour le tuer, réussit à forcer sa porte le 13 juillet vers 19 heures, le trouve dans son bain et le poignarde.
Conduite à la Prison de l’Abbaye, l’on découvre un libelle dans lequel elle déclare notamment :
« Déjà le plus vil des scélérats, Marat, dont le nom seul présente l'image de tous les crimes, en tombant sous le fer vengeur, ébranle la Montagne et fait pâlir Danton, Robespierre, ces autres brigands assis sur ce trône sanglant… »
Transférée le 15 juillet à la Conciergerie, elle est exécutée la 17 juillet.
Le poète André Chénier, qui fut lui-même guillotiné un an après Charlotte Corday, lui a consacré une ode dans laquelleil écrit notamment :
Calme sur l’échafaud, tu méprisas la rage
D’un peuple abject, servile, et fécond en outrage,
Et qui se croit alors et libre et souverain.
La vertu seule est libre. Honneur de notre histoire,
Notre immortel opprobre y vit avec ta gloire,
Seule tu fus un homme, et vengeas les humains.
Tu voulais, enflammant les courages timides,
Réveiller les poignards sur tous ces parricides,
De rapine, de sang, d’infamie engraissés.
Un scélérat de moins rampe dans cette fange.
La vertu t’applaudit.
Charlotte Corday ne s’était pas trompée sur la tournure prise par la Révolution, mais les révolutionnaires n’en avaient cure : le 21 septembre 1794, trois mois après la mort de Robespierre, un décret déclarait Marat « immortel », le fait exhumer et placer au Panthéon. Mais, sic transit gloria mundi, un autre décret annulait trois mois plus tard le décret précédent. Son cercueil était retiré du Panthéon, tous les bustes le représentant étaient brisés et jetés dans les égouts. Ses restes étaient exhumés et placés dans le cimetière de l'église Saint-Étienne-du-Mont.
Charlotte Corday était vengée et la Révolution jugée à l’aulne de ses crimes.
À SUIVRE