UKRAINE: LA PARTIE EST DÉJA JOUÉE.
Je ne vous ai pas accablé par mes billets sur l’Ukraine : le dernier date du 8 février dernier, l'avant dernier du 30 juillet 2022. Ce n'est pas que le sujet ne me passionne pas, mais je me retiens d'écrire pour ne pas heurter la majorité de mes lecteurs, endoctrinés par la doxa qui a cours dans le (petit) monde occidental.
Mais le silence ne peut être qu'une attitude provisoire, le temps que les circonstances deviennent plus propices à l'écoute qu'à l'époque où l'on expliquait la guerre ukrainienne par la folie de Poutine et auparavant la guerre de Syrie par la méchanceté d'Assad, celle de Libye par la violence de Khadafi, celle d'Irak par les armes de destruction massive de Saddam Hussein ou celle d'Afghanistan par les tours de Manhattan.
Il est possible désormais de comprendre que la guerre d'Ukraine, qu'a déclenché Poutine, trouve ses racines dans la volonté des Américains d'étendre le périmètre de l'OTAN jusqu'en Ukraine, ce qui s'est traduit par le coup d'État de 2014. À cette volonté américaine s'opposent les Russes qui n’acceptent pas de laisser s'installer des lanceurs d'ogives nucléaires à quelques minutes de Moscou, comme les Américains s'étaient autrefois opposés à l'installation de missiles russes à Cuba.
Il en résulte que, compte tenu de l’enjeu atomique, les Russes ne céderont pas. On peut imaginer toutes sortes de scénarios, depuis l'assassinat de Poutine jusqu'à un coup d'état ou une révolution en Russie, mais c’est méconnaitre que le choix russe relève de la géostratégie mondiale et pas de l’humeur, du caractère ou de l’équilibre psychique du Président.
Donc s'affrontent d'un côté les Russes qui ne veulent pas céder et de l'autre les Américains qui voudraient bien les écraser pour faire exploser l'entité russe et se retrouver seuls face aux Chinois.
Les États-Unis ont déjà atteint leur objectif stratégique à court terme, qui était de séparer les Européens des Russes. Sur le plan militaire, c’est plus douteux, car les Ukrainiens souffrent face aux fortifications et à la préparation d'une relative petite armée russe de deux cent mille hommes disposés sur un front d'un millier de kilomètres.
La suite? Voici, en résumé, ce que j'écrivais en février dernier et que je maintiens: il est possible que l'envoi de matériel supplémentaire ne permette pas aux Ukrainiens de contre-attaquer. Que fait-on, alors ? Soit on négocie, soit il faudra envoyer d’autres matériels, comme les avions demandés par Zelensky. Si les avions ne suffisent pas, il faudra envoyer des troupes constituées, ce qui équivaudrait à une déclaration de guerre officielle, à laquelle aspirent les Polonais mais pas les Américains qui ne veulent pas flirter avec une guerre nucléaire.
Le plus vraisemblable est qu'il ne se passera rien. On fera semblant d'envoyer des armes supplémentaires, on formera des pilotes, on enverra des volontaires pour suppléer un contingent ukrainien qui a fortement tendance à préférer vivre sur la Côte d'Azur que mourir aux frontières du Donbass. On peut les comprendre.
Passez donc un été tranquille, braves gens, pas de guerre généralisée en vue. Les Américains ayant atteint leur premier objectif stratégique qui était de séparer les Russes et les Européens, sont sans doute prêts à se contenter de l’établissement d’une DMZ qui sauverait la face de tous les protagonistes. Une DMZ (Demilitarized Zone) de deux cent cinquante kilomètres existe déjà entre les Corée du Nord et du Sud sur une bande de terre de quatre kilomètres. Elle subsiste depuis l'armistice de Panmunjeom dont on fêtera le soixante-dixième anniversaire le 27 juillet prochain, ceci pour vous faire comprendre qu’une DMZ peut durer.
En Ukraine, il faudrait installer une DMZ quatre fois plus longue et on ne sera pas à l'abri de divers incidents, centrales nucléaires menacées, avancées russes pour protéger Belgorod ou sabotages organisés en Russie, mais rien qui mette en danger la paix du monde. Cette DMZ pourrait bien émerger vers le printemps 2024, lorsque les Russes et les Américains, et non les Ukrainiens qui n'ont pas leur mot à dire sauf comme porte-voix de la coalition, se mettront d'accord pour un cessez le feu provisoire sur la ligne de front. Et on passera à autre chose, jusqu’à ce que la situation bouge à nouveau au plan militaire.
Pendant ce temps, largement occulté par des médias habitués à voir les pays s'effondrer sous le poids des sanctions occidentales, un évènement économique est en train d'émerger qui met sérieusement à mal ce que l'on appelle poliment l'unilatéralisme des États-Unis.
En effet, les quatre autres pays des BRICS, Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud, ont refusé de sanctionner le cinquième, la Russie, et ils ont été suivis par de très nombreux pays, de la Turquie, pourtant dans l'Otan, à l'Arabie Saoudite, bien qu'elle soit largement dotée de bases américaines qui la "protège", en passant par la quasi-totalité de l'Afrique, une bonne partie de l'Asie (sauf le Japon) et, mezzo voce, de l'Amérique du Sud. Mais l'évènement le plus spectaculaire de cette révolte contre "l'unilatéralisme" a été l'accord Iran-Arabie Saoudite sous l'égide de la Chine.
Tout à coup, le couple États-Unis-Europe, même renforcé par le Japon, le Canada et l'Australie, s'est retrouvé isolé face à un fait stratégique massif : les autres pays ne veulent pas que la Russie perde, parce que ce serait une victoire de l'unilatéralisme, qu'ils rejettent. Du coup, les sanctions occidentales, autrefois imparables, sont devenues des chiffons de papier.
Dès lors, la victoire économique des Occidentaux sur la Russie semble hors de portée et l'Europe est bien imprudente de jouer les supplétifs de l'unilatéralisme, alors qu'elle en est la première victime. Pensez à la position de l'Allemagne qui a parié sur un approvisionnement énergétique peu coûteux en gaz russe pour s'en trouver désormais privée et sur des dépenses militaires quasi nulles pour se retrouver obligée de réarmer à grands frais pendant que ses Léopards se font détruire sur le front.
La situation en ce mois de juin 2023 voit le succès stratégique à court terme des États-Unis parce qu’ils ont obtenu de séparer l'Europe de la Russie au prix de dizaines voire de centaines de milliers de morts ukrainiens dont ils se soucient comme d'une guigne et de l’affaiblissement économique de l’Europe dont ils se nourrissent, mais à long terme, le multilatéralisme des BRICS sortira vainqueur de ce coup de poker un peu désespéré des Occidentaux.
À SUIVRE, NATURELLEMENT