À PROPOS DE LA BOÉTIE
16 Janvier 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE
Etienne de La Boétie (1530-1563) appartient à un milieu aisé et cultivé, comme on peut s’en douter. Né à Sarlat, il a été élevé par un oncle ecclésiastique et juriste, son père étant mort prématurément. Il s’inscrivit très jeune à l’Université d’Orléans qui possédait l’une des plus célèbres écoles de droit de son temps.
Alors qu’il a déjà écrit son fameux discours, La Boétie y obtient en 1553 le grade de licencié et devient, avec dispense d’âge, conseiller au Parlement de Bordeaux où il rencontre et se lie d’amitié avec Michel de Montaigne en 1557.
Au Parlement de Bordeaux, durant son bref mandat, La Boétie apparait, avec Montaigne, comme un fervent partisan de la politique d'apaisement entre catholiques et protestants voulue par le chancelier du Roi, Michel de l'Hospital. Il écrit un remarquable mémoire sur l'Édit de janvier 1562, avant de tomber brusquement malade et de mourir, avec Montaigne à son chevet, le 18 aout 1563.
Montaigne écrit alors à Henri de Mesmes, un de ses amis, "La Boétie était le plus grand homme, à mon avis, de ce siècle".
Montaigne a hérité des nombreux manuscrits de La Boétie, des traductions de Xénophon ou de Plutarque, des poésies, et bien sûr du Discours sur la Servitude Volontaire qu'il a écrit entre 16 et 18 ans, avant de le corriger plus tard.
Montaigne ne le publie pas tout de suite par crainte qu'il soit utilisé par les diverses factions qui se déchirent alors, mais, on ne sait comment, une copie du Discours circula sous le manteau dans le cadre de pamphlets publiés pendant la période troublée des années 1570.
Plus tard, en 1727, une réédition des Essais de Montaigne contient enfin le Discours de la Servitude Volontaire. Pendant la Révolution, le Discours réapparait à trois reprises, de 1789 à 1792 et en 1836, l'abbé polémiste De Lamennais utilise le Discours de La Boétie contre le pouvoir. Par la suite, l'ouvrage suscitera beaucoup d'intérêt mais n'aura presque aucune influence sur le discours public.
En effet, Le Discours s'inscrit bien dans l'air de son époque, le XVIe siècle finissant, le temps de Machiavel et de Thomas More, le temps de la politique et de la révolte, mais est-il toujours d’actualité ?
Plus que jamais à mon avis.
En effet, dans le Discours, une idée force domine, comme Machiavel devant les désordres de l'Italie ou comme Thomas More devant la misère de l'Angleterre, celle de la dénonciation de la maladie à laquelle s'abandonne les peuples et de la recherche d'une thérapeutique possible.
Dans son discours (à dix-huit ans au plus!) La Boétie commence par déplorer l'extrême malheur du sujet asservi à un maitre ou à plusieurs, si bien qu'il refuse à juste titre de débattre de la forme du pouvoir, monarchie ou république, c'est égal.
Car la question de fond est de comprendre, alors que l'homme est naturellement épris de liberté, comment il se peut faire qu'un peuple entier préfére ployer sous le joug tyrannique d'un seul homme, acceptant de l'endurer plutôt que de le contredire?
Comment comprendre en effet que dix millions d'hommes (et parfois un milliard) servent misérablement, "enchantés et charmés" par un seul homme qui pourtant est, à leur endroit, "inhumain et sauvage"? Il y a là un mystère.
On pourrait comprendre qu'un peuple cédât à la force, comme lors d'une occupation ou d'une colonisation. On pourrait aussi admettre que des hommes se laissent envouter par les promesses de quelque héros glorieux (De Gaulle) ; le prestige du chef charismatique, le plus fort ou le plus habile, a toujours raison de la lourdeur des masses.
Mais quel malheur est celui-là ? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ? Servir. Non pas être gouvernées, mais tyrannisées ? N'ayant ni biens, ni parents, ni leur vie même qui soit à eux ? Souffrir les pillages, les cruautés, non pas d'une armée, non pas d'un camp barbare, mais d'un seul ? Non pas d'un géant, mais souvent du plus lâche et du plus faible du pays ? Un homme, non pas accoutumé aux batailles mais à peine dégrossi ? Un faible.
Car, s'il est dans l'ordre des choses qu'un peuple obéisse à ceux qui les gouvernent, c'est une anomalie monstrueuse de voir un peuple entier ployer sous le joug d'un seul, qui n'a ni force ni prestige.
La Boétie pose admirablement le problème et, en outre, il est parfaitement d'actualité.
À SUIVRE