BONAPARTE HÉRITE DE LA RÉVOLUTION
La suite du coup d’État du 19 brumaire ne fut que routine.
Les Cinq-Cents expulsés, le président des Anciens fit voter un décret constatant « la retraite » du conseil des Cinq-Cents et nommant une commission exécutive provisoire de trois membres remplaçant les Directeurs.
Bonaparte et Sieyès complétaient cette première mesure par une réunion hâtive d’une cinquantaine de députés qui votaient, sous la présidence de Lucien Bonaparte, leur reconnaissance à Bonaparte et aux autres généraux présents. De plus, ils nommaient Bonaparte, Sieyès et Ducos membres de la commission exécutive, qui porteraient désormais le titre de consuls.
Vers 4 heures du matin, le 20 brumaire (11 novembre 1799), deux commissions étaient constituées pour discuter de la nouvelle constitution avec les consuls.
Un mois plus tard le 15 décembre 1799, les trois nouveaux consuls, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun, présentaient leur constitution aux Français et ils proclamaient « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ! »: c'était beaucoup s'avancer !
La population fit le gros dos : elle avait désormais l’habitude des coups d’État. Mais cette fois-ci, l’armée prenait directement le pouvoir en la personne de Bonaparte, qui se représentait comme un miraculé, « sauvé de l'assassinat par les grenadiers du corps législatif Bonaparte parvient à déjouer un complot Jacobin liberticide et menaçant les propriétés ». Comme par miracle, les journaux reparaissaient le lendemain, la rente montait, les propriétaires se ralliaient à Bonaparte qui situait son action au-dessus des partis, ne se voyant « ni bonnet rouge, ni talon rouge ».
Déjà une telle solution institutionnelle était en filigrane depuis que l’armée s’était imposée comme le principal soutien du régime lors du coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797). L’intermède du Directoire s’achevait, qui avait réussi à générer trois coups d’État entre mai 1797 et novembre 1799, en raison du refus du Directoire d’accepter le verdict des urnes.
Plus précisément, le constat que les électeurs restaient plus que jamais royalistes était inacceptable pour des dirigeants politiques régicides qui craignaient pour leur vie, pour des généraux ivres des succès obtenus grâce à la levée en masse et pour des jacobins viscéralement opposés à la royauté, au nom de l’égalité et de l’anticatholicisme.
De ce fait, l’avis des électeurs, et plus encore du peuple, ne comptait pas, pire que cela, il devait être combattu. Pendant la période du Directoire, la réaction des électeurs bafoués s'exprime par une abstention massive de quatre-vingts dix pour cent d’entre eux.
En outre, le Directoire est résolument anti-catholique, au point d’encourager une pseudo religion, la théophilantropie, parce que le catholicisme est source de normes, de morale qui dérange l'idéologie du Directoire et parce qu'il est du côté des royalistes. La volonté d’affaiblir le catholicisme explique aussi les décisions d’encourager le protestantisme et le judaïsme prises par les divers gouvernants depuis le début de la Révolution. Si finalement le Directoire n’est pas comparable à la Terreur en termes de tentative de contrôle des esprits, ce n’est qu’affaire de circonstances et non pas volonté ou philosophie politique.
La culture du Directoire est celle du coup d’État, qui s'achève, lorsque son pouvoir vacille, par la remise du pouvoir à un militaire. Car la force du Directoire réside dans les énormes effectifs militaires dont il dispose. À la tête de ces troupes, des généraux qui savent ce qu’ils doivent à la République mais aussi ce qu’elle leur doit. Aussi est-il naturel que le plus ambitieux d’entre eux, qui se révèle être aussi le meilleur stratège, se hisse à la tête de l’État, car il faut retenir qu’il ne prend pas le pouvoir contre le Directoire, mais à sa demande.
L’arrivée de Bonaparte n'est donc pas une rupture avec la Révolution. La République demeurera jusqu’en 1814, car les hommes au pouvoir restent, les principes subsistent, mieux encore, ils sont appliqués avec plus de rationalité, sans que la Terreur ne s’avère toujours nécessaire pour faire obéir le citoyen à l’État. Bonaparte fit ce que les politiciens de la Révolution n’avaient pas su faire, une organisation centralisée et rationnellement organisée, à son service, et de ce point de vue un très bon système de gouvernement se mit en place à partir de 1800, dont tous les historiens louent la logique, la cohérence et la pérennité.
Mais Il est curieux qu’ils en fassent crédit à Bonaparte premier Consul, pour reprocher à Napoléon d’avoir dilapidé l’héritage, comme si le système que le premier avait mis en place n’avait rien à voir avec la série de catastrophes qui se sont abattues sur la France par la faute du second.
L’aventure de Napoléon Bonaparte est celle d'un fils de la Révolution. Du fait de son extraordinaire destin personnel, de son génie stratégique, de ses qualités d’organisateur, Napoléon rencontre le rêve collectif d’une nation qui impose sa volonté à l’Europe avant de succomber, victime du nombre, des erreurs stratégiques et de la fatalité.
Ceci posé, Bonaparte n’a servi qu’à prolonger de quinze années un système politique issu de la Révolution qui n’avait pas d’avenir, car il ne s ‘appuyait sur aucune base démocratique et qui ne s’enracinait dans aucune tradition. Son maintien pendant cette période a tenu à la peur des classes dirigeantes de perdre les biens acquis pendant la révolution, aux rêves égalitaires entretenus par le prolétariat urbain, à la puissance des armes et au génie industrieux de Bonaparte.
Les soldats l’ont suivi jusqu’à ce qu’ils n’aient plus la force de le porter, les ouvriers l’ont soutenu en vain et les classes dirigeantes, comme d’usage, l’ont abandonné dès que ses défaites militaires ont démonétisé son maintien au pouvoir.
À SUIVRE