QU'ATTENDRE DE TRUMP?
Ces grands changements sociologiques que nous avons présentés précédemment se sont retrouvés dans les comportements électoraux du mardi 4 novembre.
La victoire républicaine s'est construite autour des électeurs blancs de la classe ouvrière à laquelle se sont ajoutés beaucoup plus d'électeurs hispaniques et noirs de la classe ouvrière qu'au cours de l'élection de 2020, en particulier les électeurs masculins de ces groupes. Pour ces derniers, la classe sociale comptait plus que la race ou l'ethnicité, car il n'y avait aucune raison particulière pour qu'un latino de la classe ouvrière soit particulièrement attiré par un libéralisme woke qui favorisait les immigrants sans papier et se concentrait sur la promotion des intérêts des femmes.
En outre ces acteurs ne se souciaient pas beaucoup de la menace que représente Trump pour l'ordre libéral, alors que Trump est un protectionniste autoproclamé qui se propose d'établir des tarifs de 10% à 20 % sur tous les biens produits à l'étranger, une mesure qu'il pourra prendre sans avoir à solliciter l'autorisation du Congrès.
Ce faisant, il reste que Trump risque de provoquer des représailles massives en matière de droits de douane de la part des autres pays, ce qui pourrait le faire reculer. Mais il ne veut pas seulement lutter contre le néolibéralisme et le libéralisme woke, il menace aussi le libéralisme classique et si certains ne prennent pas sa rhétorique au sérieux, ils commettent probablement une erreur :
En matière d'immigration, Trump ne veut plus simplement fermer la frontière, il veut aussi expulser la plus grande proportion possible des onze millions d'immigrés sans-papiers déjà présents dans le pays, ce qui représente une tâche énorme du point de vue administratif. En outre, cette action aura des effets dévastateurs sur les industries qui dépendent de la main-d'œuvre immigrée, comme la construction et l'agriculture, et elle suscitera un énorme scandale moral, comme la gauche les aime, lorsque les parents expulsés seront séparés de leurs enfants citoyens américains.
En ce qui concerne l'État de Droit, Trump cherchera sans doute à se venger des injustices qui estime avoir subi de la part de ses détracteurs. À cet égard, il a juré d'utiliser le système judiciaire pour poursuivre tout le monde de Liz Cheney aux policiers et de Joe Biden à l'ancien chef d'état-major interarmées, Mac Milley et à Barack Obama. Il veut aussi faire taire les critiques des médias en leur retirant leur licence ou en leur imposant des sanctions et, pour pouvoir agir, il a chargé les républicains de recruter des juges compréhensifs.
Cependant, les changements les plus importants interviendront probablement dans la politique étrangère. L'Ukraine risque d'être de loin la plus grande perdante. Son combat contre la Russie s'est essoufflé avant même les élections et Trump peut la forcer d'accepter les conditions de la Russie, en retenant ses livraisons d'armes, comme l’a déjà fait la chambre républicaine pendant six mois l'hiver dernier.
Trump peut aussi gravement affaiblir l'alliance en ne respectant pas l'article 5 de la garantie de défense mutuelle. Les alliés et amis des États-Unis en Asie du Sud-Est ne sont guère en meilleure position que l'Ukraine. Trump a tenu des propos durs à l’égard de la Chine mais il admire aussi Xi Jinping pour ses qualités d'homme fort : il pourrait être disposé à conclure un accord avec lui sur Taïwan et ceci d'autant plus que Trump se déclare opposé par principe à l'usage de la force militaire, sauf peut-être au Moyen-Orient, où il est susceptible de soutenir sans réserve les guerres de Netanyahou contre Le Hamas, le Hezbollah et l’Iran.
Il y a de bonnes raisons de penser que Trump sera plus efficace dans la réalisation de ce programme qu'il ne l'a été lors de son premier mandat. Lui et les républicains se sont rendus compte qu'ils avaient été trahis par la haute administration, car lorsqu'il a été élu pour la première fois en 2016, il l'a dû s'appuyer sur les républicains de l'establishment qui ont souvent bloqué, détourné ou ralentis ses ordres.
Sa réaction à la fin de son mandat consista à émettre un décret créant un « Schedule F » destiné à priver de leur emploi les fonctionnaires fédéraux qu’il jugeait déloyaux à son endroit ou inefficaces. La résurgence du Schedule F est au cœur des plans de Trump pour son second mandat et il a fait établir des listes de potentiels fonctionnaires qui lui seraient personnellement loyaux, ce qui laisse penser qu’il semble capable cette fois de mettre ses plans à exécution.
Au cours de la campagne électorale, Kamala Harris a accusé à tort Trump d'être un fasciste, car il n'a pas l'intention d'instaurer un régime totalitaire aux États-Unis, mais plutôt d'organiser un déclin progressif des institutions libérales, sur le modèle du retour au pouvoir de Victor Orban en 2010.
Ce déclin a déjà commencé car Trump a contribué à accroître l'importante polarisation de la société américaine : il a fait passer les États-Unis d'une société de confiance à une société de défiance, il a diabolisé le gouvernement et affaiblit la croyance que ce dernier représente les intérêts collectifs des Américains, il a pratiqué une rhétorique politique grossière, il a enfin convaincu une majorité de républicains que son prédécesseur était un président illégitime qui lui a volé l'élection en 2020.
L'ampleur de la victoire républicaine qui s'étend de la Présidence des États-Unis, au Sénat et à la Chambre des Représentants est interprétée comme un mandat politique fort, confirmant les idées de Trump et l'autorisant à agir comme il l’entend.
Il reste aux Européens, comme aux autres parties du monde, à accepter ce prochain état de fait, à s’y s'adapter et à tenter d'en tirer avantage.
*D’après Francis Fukuyama (What Trump unleashed means for America Financial Times, 10 novembre 2024) selon une traduction adaptée par mes soins.