HANNAH ARENDT (1906-1975)
Il nous parait utile de présenter les principaux traits de la vie d’Hannah Arendt avant d’analyser son œuvre proprement dite, car son parcours de vie est révélateur des principaux thèmes qu'elle développe dans son œuvre.
Née à Hanovre au sein d'une famille cultivée de juifs réformés, Hannah Arendt se définissait elle-même comme « Femme, juive, mais pas Allemande ».
Philosophe, théoricienne du politique, journaliste, marquée par des "temps sombres", Hannah Arendt était consciente de la relation étroite de son œuvre avec sa vie.
Dès l’âge de 18 ans, Hannah Arendt étudie la philosophie, la théologie et la philologie classique, successivement dans les universités de Margbourg, Fribourg et Heidelberg. Ces études la mettent en contact avec de grands philosophes de l'époque comme Edmund Husserl, Martin Heidegger et Karl Jaspers, sous la direction duquel elle soutient son doctorat sur Le Concept d'amour chez saint Augustin.
Sa vie sentimentale la conduit à avoir une liaison avec Martin Heidegger, avant d'épouser Günther Anders Stern, un jeune philosophe. Grâce à une bourse d'études, elle se consacre jusqu'en 1933 à la biographie de Rahel Varnhagen, une figure du romantisme allemand, ce qui lui permet aussi de regarder en face sa propre condition juive.
La menace hitlérienne fait prendre conscience à Hannah Arendt qu'il lui faut s'engager dans l'action, qui consiste en ce qui la concerne en une mission pour le compte de l'Organisation sioniste, qui consiste à recueillir des témoignages sur la propagande antisémite. Elle sera arrêtée par la Gestapo qui la relâchera faute de preuves, mais elle en conclut qu'il est temps de fuir. Elle s'exile à Paris où elle passe huit années, travaillant au sein de différentes organisations sionistes et fréquentant l'intelligentsia parisienne comme Raymond Aron ou Alexandre Koyré et des émigrés allemands comme Brecht ou Zweig.
En mai 1940, elle est internée au camp de Gurs en tant qu’«étrangère ennemie », mais elle réussit à s'en échapper et, dès la proclamation du statut des Juifs en octobre 1940, elle gagne Lisbonne avec son second mari, Heinrich Blücher, un autre philosophe allemand, ville où elle obtient un visa pour les États-Unis qui lui permet d'arriver à New York en mai 1941.
À son arrivée, Hannah Arendt se consacre logiquement à l'apprentissage de l'anglais tout en publiant son premier grand article : « De l'Affaire Dreyfus à la France d'aujourd'hui ». Éditorialiste au journal Aufbau, destiné aux réfugiés de langue allemande, elle défend l'idée de la constitution d'une armée juive et s'interroge sur la solution à apporter à la question judéo-arabe.
En 1944, nommée directrice de recherche de la Commission pour la reconstruction de la culture juive européenne, elle est chargée d'étudier les moyens de récupérer les trésors spirituels juifs, ce qui lui permet d'effectuer en 1949 son premier voyage de retour en Europe et de renouer avec Heidegger et Jaspers.
En 1951, année pendant laquelle elle choisit la nationalité américaine, elle publie Les Origines du totalitarisme, ouvrage qui s'efforce de répondre aux trois questions suivantes:
- Que s'est-il passé ?
- Pourquoi cela s'est-il passé ?
- Comment cela a-t-il été possible ?
Au travers de l'ouvrage, Hannah Arendt s'efforce de comprendre le caractère inédit du totalitarisme qui tient dans l'existence de crimes impardonnables et dans la révélation d'un « mal absolu ». Elle estime que ce nouveau type de régime naît de la crise des valeurs sur lesquelles était fondée l'ancienne notion de politique autour de quatre diptyques : « liberté et justice, autorité et raison, responsabilité et vertu, pouvoir et gloire ». Le totalitarisme engendre un homme nouveau, composante anonyme d'un ensemble d'individus interchangeables et la terreur devient son principe central.
À la suite de la publication des Origines du totalitarisme, Hannah Arendt enseigne la philosophie et les sciences politiques dans les plus prestigieuses universités américaines. Elle publie dans le même temps La Crise de la culture (1954) puis La Condition de l'homme moderne (1958) qui abordent les questions de la crise de la culture, de la crise de l'éducation ou de l'avènement du mensonge en politique.
En 1961, lorsqu'elle couvre le procès Eichmann pour le New Yorker, elle en tire le livre Eichmann à Jérusalem, dont le sous-titre, Rapport sur la banalité du mal, ainsi que les quelques pages où elle relate le rôle des conseils juifs dans la « solution finale » des Juifs européens déclenchent contre elle une véritable cabale. Pour Hannah Arendt en effet, le seul crime d'Eichmann, consistait à ne pas avoir pensé ce qu'il faisait, à n'avoir pas imaginé les conséquences de ses actes.
De 1963 à 1968, Hannah Arendt enseigne à l'université de Chicago avant d'être nommée professeur de philosophie politique à la New School for Social Research à New York. Les victoires d'Israël durant la guerre de Six Jours l'enthousiasment et la révolte étudiante à Columbia, en avril 1968, lui fournit l'occasion de réfléchir sur les concepts de pouvoir et de violence, sujet qu'elle reprendra dans Du mensonge à la violence (1969).
Fidèle en amitié, Hannah Arendt prononce en 1958 un discours à Francfort en l'honneur de Karl Jaspers et, en 1969, accepte de contribuer aux « Mélanges » dédiés à Martin Heidegger à l'occasion de son quatre-vingtième anniversaire. Les écrits rassemblés dans Vies politiques (1968), consacrés notamment à Jaspers, Heidegger, Broch, Benjamin, Brecht, sont un autre témoignage de sa fidélité.
En 1973, elle accepte d'assurer les conférences Gifford à Aberdeen. C'est l'occasion pour elle d'annoncer son projet sur La Vie de l'esprit, dont trois volumes étaient prévus : La Pensée, Le Vouloir, Juger et qui parurent après sa mort à New-York, advenue le 4 décembre 1975 à la suite d'une crise cardiaque.
Sur sa tombe, Hans Jonas, l'ami d'une vie, acheva l'éloge funèbre de cette « passagère sur le navire du XXe siècle » par ces simples mots : « Sans ta chaleur, le monde s'est glacé. Tu nous as quittés trop tôt. Nous allons tenter de t'être fidèles. »
À SUIVRE