LES ORIGINES DU TOTALITARISME
L'ouvrage Les Origines du totalitarisme, écrit par Hannah Arendt en anglais et non en allemand qui est sa langue natale*, paraît pour la première fois aux États-Unis en 1951.
Écrit après quelques années d'exil aux États-Unis, la philosophe établit dans son ouvrage la généalogie des régimes totalitaires dont elle a été le témoin et la victime. Pour elle, l’émergence du totalitarisme** constitue l’événement central du XXe siècle. L'œuvre d'Arendt s'inscrit dans un mouvement visant à repenser la politique et la philosophie politique à la lumière des événements traumatisants du XXe siècle.
H. Arendt explore les mécanismes par lesquels les sociétés peuvent glisser vers des formes extrêmes de gouvernance. Les fondements du totalitarisme se trouveraient dans l'antisémitisme qui est progressivement devenu un élément central dans l'idéologie des régimes totalitaires et les dynamiques impérialistes qui ont favorisé la désintégration des frontières et la dévalorisation des valeurs humaines.
C’est alors que les mécanismes du totalitarisme, de par la nature oppressive de ce régime, son contrôle sur la pensée, la suppression de la vérité et l'instrumentalisation des institutions, entrainent la transformation des individus en masses apathiques, déshumanisées et soumises à l'autorité.
Les Origines du totalitarisme comprennent trois parties, consacrées successivement à l’antisémitisme, à l’impérialisme et aux mécanismes du totalitarisme.
Dans une première partie, Hannah Arendt remonte aux racines historiques de l'antisémitisme, dévoilant l'évolution des préjugés qui ont nourri cette idéologie afin de créer un bouc émissaire utilisé comme un outil pour détourner l'attention des problèmes sociaux, économiques et politiques.
Dans une seconde partie qui parcourt les racines du colonialisme et de l'expansionnisme, Arendt remonte aux débuts de l'ère moderne pour examiner comment les empires européens ont émergé, exploitant des territoires lointains et justifiant leur expansion par des idéologies de supériorité culturelle permettant de couvrir un capitalisme en quête de ressources et de marchés. Elle explore comment l'impérialisme a contribué à déshumaniser les peuples colonisés, les traitant comme des possessions plutôt que des individus ayant des droits inaliénables.
La troisième partie de l'ouvrage est dédiée à l'analyse approfondie des mécanismes des régimes totalitaires. Hannah Arendt distingue le totalitarisme des autres formes de gouvernement autoritaire en montrant sa capacité à s'immiscer profondément dans la sphère privée des individus tout en organisant un contrôle absolu de la sphère publique. Elle montre comment ces régimes exploitent la désorientation sociale pour instaurer un climat de peur et d'incertitude, facilitant la manipulation des masses.
La suppression des droits individuels, la création d'institutions de surveillance omniprésentes et l'utilisation de la violence politique deviennent les éléments centraux de leur stratégie de contrôle, permettant de détruire les structures sociales traditionnelles et érodant les bases de la confiance interpersonnelle.
La lecture de l'ouvrage de Hannah Arendt permet de distinguer trois axes d'analyse, philosophique, idéologique et politique :
Au plan philosophique, elle met en évidence les aspects de la psychologie humaine qui peuvent favoriser l'émergence de mouvements autoritaires, tels que la propension des individus à se conformer aux attentes de la société et des autorités, comme la crise du COVID qui a montré de quelle manière la tendance à la conformité pouvait être exploitée pour manipuler les masses et mettre hors-jeu la dissidence en l’accusant de diffuser des fake-news et de pratiquer le complotisme.
Elle met également en garde contre l'effritement de l'espace public, où les individus peuvent débattre, partager leurs opinions et participer activement à la vie politique. Ainsi, on observe actuellement le combat que mène le pouvoir politique et les médias affidés contre les opinions librement exprimées sur les réseaux sociaux, sous prétexte de lutter contre la « haine ».
Arendt observe aussi comment la modernité contribue à la montée de la solitude et de l'isolement, ce qui rend les individus vulnérables aux manipulations idéologiques qui prétendent offrir en contrepartie un sentiment d'appartenance.
Elle introduit enfin le concept de la banalité du mal, qui se manifeste lorsque des individus, motivés par le désir de conformité sociale ou professionnelle, participent à des actions cruelles sans remettre en question la moralité de leurs actes, comme le montre l'expérience de Milgram (voir mon billet à ce sujet).
Il nous reste à examiner dans Les Origines du totalitarisme la pensée d’Hannah Arendt aux plans idéologique et politique.
* L’ouvrage n'est proposé au public francophone sous sa forme originelle qu'en 2002, cinquante et un ans après sa première publication en anglais !
** Compte tenu du contexte historique de l'ouvrage, Arendt réserve l’appellation de totalitarisme qu'à deux régimes : le nazisme entre 1939 et 1945, et le stalinisme, entre 1930 et 1953, oubliant la période léniniste qui l'a précédé.
À SUIVRE