NÉGOCIATION ANIMALE
Le sujet de la négociation est devenu un thème d'actualité brulante. Mais est-ce vraiment nouveau et est-ce limité à l’humanité ?
La négociation est en effet un thème aussi vieux que l’humanité : selon le récit de la Bible, le premier marchandage a eu lieu entre Eve et Adam, après que le serpent soit parvenu à tenter Ève. Cette dernière fit alors à Adam une offre qu’il ne put refuser.
Loin d’être un sujet nouveau, la négociation serait donc un comportement immémorial chez l’être humain. Pis encore, ce ne serait pas un processus spécifiquement humain. Aussi, pour comprendre l’issue d’une négociation tripartite entre Trump, Poutine et Zelinsky, il serait sans doute utile d’observer celles qui ont lieu entre les animaux pour en tirer quelques principes de comportement généralisables.
Mais rappelons-nous tout d’abord que les êtres humains négocient tout le temps et de tout temps pour obtenir un gain, qu’il soit matériel ou affectif, en intégrant les codes culturels de chacun, avec confiance ou avec méfiance selon l’intuition et l’humeur des interlocuteurs. Et tous ces échanges fonctionnent au travers de la communication verbale et non verbale destinée à faire passer les messages entre les négociateurs.
L’acte de négociation commence même à s’automatiser avec l’irruption de l’intelligence artificielle (IA) sur les marchés financiers ou avec les chatbots commerciaux. C’est d’ailleurs l’utilisation de l’IA qui a poussé les chercheurs à redécouvrir les principes qui animent les fieffés négociateurs que l’on trouve au sein de nombreuses espèces animales.
On se doute que nos plus proches voisins animaux, les primates, que ce soient les chimpanzés ou les bonobos savent négocier. Les chimpanzés échangent des services tel que le toilettage d’un autre chimpanzé pour obtenir de la nourriture ou même un soutien dans un conflit. Ils sont également capables de retarder une action violente pour maintenir une alliance et l’on sait que, pour leur part, les bonobos utilisent, horribilis dictu, leurs relations sexuelles comme outil de régulation sociale.
Chez les loups, dont on loue, pardon, dont on glorifie l’intelligence situationnelle, les rapports de domination dans une meute peuvent être limités par des comportements de compromis, notamment lorsqu’un subalterne négocie de la tolérance en échange d’une soumission renforcée. Leurs cousins les chiens ont intégré le concept de négociation avec les humains, en obéissant platement pour obtenir une friandise, ce qui montre leur capacité à évaluer les rapports de force, à comprendre les attentes et à conformer leurs comportements en conséquence.
Les oiseaux ne sont pas en reste : que ce soient les corneilles ou les perroquets, les deux espèces sont capables de coopération conditionnelle, partageant de la nourriture avec un partenaire qui devra les aider plus tard, sous peine de représailles.
Mais les dauphins vont plus loin dans le processus de négociation. Ils forment des alliances dynamiques pour obtenir un avantage et leurs coalitions peuvent évoluer avec le temps, évaluant donc de manière continue le rapport coût/bénéfice de l’alliance.
Des études approfondies ont été menées pour explorer les comportements de négociation chez les dauphins, notamment auprès de ceux qui vivent dans Shark Bay en Australie.
Quand la recherche sur les dauphins a commencé, il y avait des contraintes infinies et d’innombrables obstacles logistiques, d’où le retard dans l’étude de leurs comportements. Ces contraintes ayant été progressivement réduites, des chercheurs comme Richard Connor, Rachel Smolker et Janet Mann ont mené dans les eaux calmes et claires de la Shark Bay une recherche sur plus de quatre cents grands dauphins. Ils découvrirent que les dauphins mâles constituaient des alliances entre eux pour coopérer, parfois violemment, contre d’autres alliances qui les concurrençaient pour la nourriture et pas seulement.
Plus généralement, les dauphins observés montraient un comportement social extrêmement complexe, unique chez les mammifères non humains. En effet, les chercheurs ont observé que les dauphins mâles forment trois niveaux d’alliances hiérarchiques :
- Un premier niveau d’alliance entre deux ou trois mâles qui coopèrent pour courtiser ou enlever une femelle en chaleur, parfois sur plusieurs jours, en se coordonnant activement, nageant de façon synchronisée et se protégeant mutuellement.
- Puis un second niveau d’alliance, par des coalitions de deux ou plusieurs petits groupes mâles qui s’allient temporairement, encore que ces alliances de niveau 2 peuvent durer des années, pour voler une femelle à une autre alliance. En somme, ils agissent en bande organisée de kidnappers.
- Enfin des super alliances, dites de troisième niveau, formant des groupes qui s’allient pour former des méga coalitions et défendre des intérêts stratégiques à long terme.
Dans les trois groupes, la négociation est omniprésente. Les mâles choisissent leurs partenaires d’alliance en fonction de leur historique de coopération passée, mais ils peuvent changer d’allié s’ils estiment qu’un autre est plus fiable, tandis que l’on voit des dauphins rivaliser pour convaincre un dauphin qu’ils apprécient de rejoindre leur coalition. En outre, les dauphins qui forment ces groupes cherchent à éviter les conflits directs en coopérant de manière souple en fonction du contexte social. Là encore, ils tiennent compte des rapports de force.
Pour mener leurs négociations, ils utilisent des vocalisations spécifiques, sous forme de sifflements dédiés, de comportements synchronisés tels qu’une natation en miroir et des signaux tactiles et visuels afin d’indiquer leurs intentions.
On peut donc voir que, du fait de leur coopération tactique, d’attitudes de réciprocité et de calculs d’intérêt mutuel, les dauphins ont des comportements de négociation sophistiqués avec des stratégies, des anticipations et de la flexibilité qui en remontreraient à plus d’un négociateur chargé de trouver une entente stable entre la France et l’Algérie.
Ce qui fait que, compte tenu de ce que je viens d’écrire sur le comportement de négociation animal, je ne vois plus très bien la plus-value qu’apportent les humains au concept !