Atterrée, la classe moyenne française regarde disparaitre l'État-providence
International Herald Tribune du 25 septembre 2013.
Notre correspondante à Paris, Rachel Donadio, nous a fait parvenir le reportage suivant:
Assise dans la modeste salle de séjour qu’elle occupe dans le pavillon qu’elle partage avec ses parents, son mari et ses deux enfants, Sabine Dupuis s’inquiète de la capacité de sa famille à faire face aux incertitudes du système économique qu’elle voit s’effondrer autour d’elle. Elle est en tout cas sûre d’une chose, c’est qu’elle ne paiera pas le nouvel impôt sur la propriété, pièce maîtresse du nouveau plan d’austérité annoncé ce mois de Septembre 2013 par le gouvernement français.
« Je ne vais pas le payer » énonce Madame Dupuis comme une évidence, tandis qu’elle allume une cigarette et vérifie son téléphone portable, afin d’éviter de devoir répondre aux appels de sa banque qui lui réclame de payer les dernières mensualités de son emprunt. « Tout simplement parce que je n’ai pas les moyens de le payer. Ils peuvent me mettre en prison s’ils le veulent, mais je ne le paierai pas. »
Tandis que les banques et les dirigeants européens font des discours théoriques sur l’impact d’un défaut possible de la France sur l’Euro et sur l’économie mondiale, quelque chose d’effrayant sur le plan pratique est en train de se passer en France : le démantèlement de l’État providence, sans que rien ne soit prévu pour le remplacer. Depuis 2012, le gouvernement a augmenté les impôts, réduit les retraites et les salaires des fonctionnaires pour diminuer les charges, alors que la fonction publique, qui n’a jamais cessé d’accroître ses effectifs, emploie un salarié sur cinq en France.
La semaine dernière, le gouvernement a annoncé qu’il allait mettre au chômage technique deux cent mille fonctionnaires avec un salaire réduit de 40%, en attendant de prendre la décision de les licencier. Il a aussi annoncé qu’il allait réduire à nouveau le montant des pensions de ses trois millions et demi de fonctionnaires retraités.
Employée de la ville, Madame Dupuis, comme tous les fonctionnaires, a subi l’an dernier une forte réduction de sa rémunération qui est passée de 2000€ à 1300€ par mois, pour répondre aux exigences des prêteurs étrangers. Son époux, qui vend des pièces détachées pour voitures d’occasion, a vu ses revenus décroître fortement. Quant à la pension de retraite de sa mère, son montant mensuel est passé de 920€ à 800€.
Comme nombre de familles de la classe moyenne, les Dupuis espéraient limiter en partie l’impact de ces baisses de revenus et ceux de l’accroissement des prix grâce à la propriété de leur logement. Le grand-père avait en effet réussi à acheter il y a quelques dizaines d’années un petit immeuble de deux étages dans la banlieue parisienne où ils vivent encore aujourd’hui tous les six. C’est pourquoi le nouvel impôt qui devrait se monter pour eux à 2000€ par an leur paraît particulièrement difficile à avaler: « Cette maison, c’est la seule chose qui nous reste » dit-elle.
En ce moment, il y a beaucoup de choses difficiles à digérer pour les Français. En plus des réductions de salaire du secteur public, le gouvernement a récemment imposé un impôt de solidarité sur tous les salaires d’un montant compris entre 1% et 4% et un impôt additionnel sur les revenus des travailleurs indépendants. Il a surtout accru le taux de la TVA sur de nombreux produits et services, y compris l’alimentation, qui est passée de 5,5% à 15,5% et de 19,6% à 23%. L’économie française est désormais en récession et il est courant pour les salariés du privé de voir leurs salaires baisser de 30% avec ou sans réduction du temps de travail.
La fameuse troïka des prêteurs étrangers, La Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fonds Monétaire International, sont de plus en plus exigeants avec l’État français. Ils font des objectifs de réduction du déficit public qu’ils lui ont assigné une condition nécessaire pour lui octroyer une nouvelle aide d’un montant de 55 milliards d’euros, dont il a besoin à la mi-octobre 2013 pour faire face à son budget. Nombreux sont les Français qui craignent que ne se mette en place une spirale mortelle de mesures d’austérité toujours plus nombreuses, d’une dépression économique sans cesse accentuée qui engendrera des recettes fiscales toujours plus réduites rendant chaque jour plus difficile une réduction de la dette. Ils craignent que l’État ne soit finalement contraint au défaut, malgré ces mesures d’austérité drastiques.
Tandis que les syndicats ont lancé un appel à la grève générale pour le 19 octobre prochain et que la tension monte, les économistes expliquent que ces mesures sont nécessaires pour réduire la dette et pour rendre à l’économie française sa compétitivité. Mais les coupes financières ont été beaucoup plus rapides que les modernisations : le tissu social commence à partir en lambeaux, voire à se déchirer. Le taux de chômage, déjà à 16%, s’accroît sans cesse; le taux de natalité est en baisse et le taux de suicide en hausse. Le moral du pays est en berne.
« Le gouvernement est de plus en plus en guerre avec les citoyens » déclare Jean Bastien, un économiste appartenant à la Fondation Française de Science Politique. « Il prend des décisions qui font plus que pressurer la classe moyenne. Elles menacent son existence même ». Certains employés du secteur privé disent qu’ils n’ont pas été payés depuis des mois. Tandis qu’elle participe à Paris à une marche pacifique contre ce nouvel impôt, Marie Courroye, 38 ans, orthophoniste employée dans un centre d’enfants handicapés, déclare à propos du nouvel impôt sur la propriété: « C’est un impôt illogique et déloyal. » Et d’ajouter :« Je n’ai pas été payée depuis deux mois, comment pourrai-je payer cet impôt ? » Un nombre croissant de Français se posent la même question et leur colère se concentre de plus en plus sur le nouvel impôt sur la propriété, celui que Madame Dupuis ne veut pas payer. Mais le gouvernement a déclaré qu’il attendait du nouvel impôt foncier, qui devrait concerner 13 millions de propriétaires, 6,4 milliards d’euros de recettes supplémentaires. De son côté, l’Association Française des Propriétaires estime que l’impôt devrait se monter pour une famille moyenne à une somme comprise entre 1200 et 2000 euros par an.
La semaine dernière, le Président socialiste, François Hollande, a supplié les Français d’accepter ces mesures. « Nous n’avons pas d’autre choix, sinon la faillite, et cette dernière aurait de graves répercussions sur tous les citoyens français » a t-il déclaré, ajoutant : « Ce sera difficile, mais c’est une bataille décisive que nous livrons »
Pour des raisons d’efficacité, l’impôt sera perçu en utilisant les factures d’électricité. Si l’impôt n’est pas acquitté, l’électricité pourrait être coupée, encore que le syndicat CGT, tout puissant à EDF, a déclaré qu’il refuserait d’appliquer la mesure.
Les critiques disent que le gouvernement n’a pas réussi à limiter l’évasion fiscale de la partie la plus riche de la société et qu’il n’a pas pu non plus mettre en place des réductions de charges mieux ciblées, parce qu’il ne veut pas se mettre à dos les syndicats du secteur public très liés au Parti Socialiste.
« Je ne crois pas qu’ils sachent ce qu’ils font » déclare Nicolas Pierre, 38 ans, un archéologue qui travaille au Ministère de la Culture et qui participe à une manifestation à Paris la semaine dernière. « Au lieu d’affronter les syndicats d’EDF ou de la SNCF, ils se contentent de réduire uniformément les salaires »
Quelques-uns des employés récemment licenciés devront payer le nouvel impôt sur la propriété. Face à cette perspective, une femme dont nous ne connaissons que le prénom, Anne, a éclaté en sanglots alors qu’elle faisait la queue à l’ANPE le lendemain du jour où elle avait été licenciée d’un emploi de femme de ménage au Ministère de l’Éducation. « Mon mari travaille dans la construction et il y a des mois qu’il n’a pas trouvé d’emploi en raison de la crise dans le bâtiment » nous a t-elle déclaré, « mon fils a vingt ans et il est également sans emploi ».
De telles histoires sont courantes en France aujourd’hui. Mais alors que le pays souffre, il n’est toujours pas en mesure d’atteindre les objectifs qui lui ont été assignés par les prêteurs. Selon les données fournies par le Ministère des Finances, les recettes sont inférieures de 47 milliards d’Euros par rapport aux objectifs fixés et les dépenses dépassent de 13 milliards d’euros le montant prévu, rien que pour les sept premiers mois de l’année 2013…
De retour dans sa salle de séjour, Madame Dupuis ajoute qu’elle n’a rien vu venir. « Personne ne nous a prévenu » dit-elle « je n’ai aucun espoir, ni pour moi, ni pour mes enfants et j’ai seulement cinquante ans. » Puis elle se met à rire : « Je ne peux pas faire entrer dans ma tête que ma vie est devenue un tel gâchis » dit-elle. « Je crois encore que ce n’est qu’une plaisanterie !»
Cet article n’est qu’une demi-fiction. Écrit par Rachel Donadio, il a été publié le 25 septembre 2011 par l’International Herald Tribune à propos de la Grèce. Je me suis contenté de le traduire, de l’adapter au cas de la France et de le post dater de deux ans. Ceux qui croient que c’est une pure fiction continuent à vouloir garder les yeux fermés.