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Le blog d'André Boyer

Eloge de la lenteur

28 Novembre 2013 Publié dans #PHILOSOPHIE

Le 7 novembre dernier, je terminais mon blog intitulé « Mort aux faibles? » en m’interrogeant sur ce que Nietzsche entendait par « faiblesse »

Tortue-escargot

Qu’entendons nous en effet par cette dernière? doit-on la voir comme un manque de volonté ou comme une incapacité à prendre des décisions et à s’y tenir ? Ainsi « être faible » se manifesterait à la fois par le manque de volonté pour résister aux tentations, mais aussi pour entreprendre une action positive…

Or, malgré l’image qu’il utilise en se référant à la volonté de puissance, Nietzsche ne croit pas plus au concept de volonté qu’à celui de liberté. Il ne pense pas que la volonté soit une faculté autonome capable de maitriser notre vie intérieure, faite de pulsions, d’instincts et de désirs. Aussi ne considère-il pas la faiblesse comme un défaut intrinsèque. Pour lui, la faiblesse, comme la force, correspondent plutôt à la manière dont nous organisons notre vie intérieure. Il estime que, lorsque nos pulsions sont structurées en un système cohérent, nous avons le sentiment d’avoir une volonté forte. Au contraire, quand nos pulsions sont désorganisées et se combattent mutuellement, nous sommes faibles.

D’après Nietzsche, la faiblesse se caractérise par deux caractéristiques particulières, l’incapacité à résister à une impulsion et l’anarchie des pulsions. Il leur oppose la lenteur, qui permet de freiner la tendance à réagir immédiatement aux stimuli qui nous agressent, tout en concentrant nos forces pour leur permettre de les rassembler vers un but.

La faiblesse se traduit alors par la dissipation, la distraction permanente, qui ne permettent pas de s’engager dans un projet à long terme. C’est ainsi que certains sont littéralement incapables de supporter une minute de silence, et il faut que leur attention soit en permanence accaparée par des images télévisées, une conversation téléphonique ou un jeu vidéo.

Le paradoxe que propose Nietzsche réside dans ce que la faiblesse ne consiste pas à se trouver dans l’incapacité d’agir mais dans celle de ne pas agir. Pour lui, pour nous renforcer, nous devons donc apprendre à ne rien faire :

« On ne réagit jamais plus rapidement, plus aveuglement, dont quand on ne devrait pas réagir du tout. La force d’une nature se trouve dans l’attente et la remise au lendemain de la réaction » (Fragment posthume de 1888, 14, 102).

Cette éducation de la volonté consiste à apprendre la lenteur, plus précisément la capacité à réagir lentement, en s’imposant une sorte d’inhibition de la volonté. Inversement, la faiblesse consiste à réagir spontanément, à l’emporte-pièce, sans laisser mûrir notre réflexion. Combien de fois nous est-il ainsi arrivé de regretter d’avoir réagi à chaud, d’avoir employé sur le coup de l’émotion des mots trop forts, d’avoir pris dans le feu de l’action des décisions sur lesquelles nous ne pouvons plus revenir désormais ?

On ne perçoit en effet les détails et les subtilités d’une situation que si l’on suspend son jugement pour s’abandonner à la contemplation. Nietzsche en fait même un projet éducatif :

« Apprendre à voir, habituer l’œil au calme, à la patience, au laisser-venir-à-soi ; différer le jugement, apprendre à faire le tour du cas particulier et à le saisir de tous les côtés. » (Le crépuscule des idoles, 6)

Ce que Nietzsche appelle force est donc tout le contraire de la brutalité, de l’agressivité ou de la démonstration ostentatoire : il est question de retenue, de calme, de temps pris pour agir.

Il estime que la véritable activité surgit d’une passivité profonde, issue de la patience d’attendre que notre force grandisse. 

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