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Le blog d'André Boyer

Être dirigé, pourquoi pas, mais dirigé vers où?

2 Juin 2011 Publié dans #ACTUALITÉ

Bien des questions agitent nos esprits depuis que la mondialisation a succédé à la guerre froide. Tandis que nous cherchons des solutions pour conserver nos positions, le point de vue des pouvoirs en place est que nous sommes tout simplement dans l’obligation de nous adapter à la mondialisation.

 

images.jpegNul ne disconvient que ces jeunes qui ne trouvent que de bas salaires, ces  ouvriers confrontés au chômage, ces agriculteurs qui doivent surfer sur les montagnes russes des prix agricoles mondialisés, ces retraités aux revenus étiques puissent nourrir quelques doutes sur le bien fondé de la mondialisation. Beaucoup reconnaissent que ces petites gens, qui voient leurs quartiers autrefois populaires se transformer à un patchwork où cohabitent des  déracinés de tous horizons, paient au  prix fort la nécessité de la diversité. On vous comprend, leur concède les bonnes âmes. Vous avez la nostalgie de cette période bénie où il n’y avait pas de chômage, où les pays émergents n’exerçaient pas de pression sur le  niveau des salaires et de protection sociale, où les régimes autoritaires du Sud et de l’Est empêchaient leurs ressortissants de déguerpir et où la menace du communisme obligeait les détenteurs de capitaux à modérer leur appétit.

Mais voilà, les belles années sont terminées, le temps est venu des temps difficiles, il faut vous résigner à vous y adapter. Vous n’avez pas le choix. Car, depuis le choc pétrolier de 1973, les choses ont changé pour l’Europe. Il faut vous faire à l’idée que le chômage restera un mal endémique, il faut accepter l’idée que nos enfants auront une vie moins facile que la nôtre et que ce sont les Chinois qui bientôt domineront le monde.

Pour convaincre les masses de se résigner, le mot clé est celui de l’absence de  solution alternative. Moi ou le chaos, avançait[1] De Gaulle en 1965. Il n’y a pas d’autre choix disait, paraît-il, Margaret Thatcher, en imposant ses solutions libérales à la Grande-Bretagne. Quoi qu’il en soit, l’objectif stratégique central du pouvoir est d’une clarté aveuglante :

L’économie de marché mondialisée oblige l’Europe en général et la France en particulier à s’y adapter à la vitesse maximale en faisant sauter progressivement tous les verrous qui s’y opposent. Entreprises publiques jugées inefficaces, coûts de production jugés trop élevés, règlements estimés protectionnistes, frontières supposées freiner les échanges, emplois et protection sociale abusivement réservés à certains groupes, la liste des particularités nationales vouées à être démantelées s’allonge sans cesse. Il s’agit d’éliminer à terme tous les obstacles qui empêchent les employeurs de trouver, dans l’espace géographique que l’on continuera par habitude d’appeler « France », des employés aussi compétitifs que dans n’importe quel autre pays du monde. Dans cette perspective concurrentielle, la différence culturelle n’est pas un atout. Au contraire, l’immigration apparaît comme une nécessité démographique et un avantage économique puisqu’elle fait baisser le coût du travail; on ajoute, sans trop le proclamer, que c’est, qu’on le veuille ou non, une fatalité géopolitique puisque la pression migratoire semble impossible à contrôler. C’est pourquoi le concept de « diversité » est devenu le porte-drapeau de cette politique qui considère que toute mention d’une différence est négative, voire un délit[2].

Ce primat de la compétitivité sur tout autre objectif collectif a été jusqu’ici tacitement ratifié par la population. Du coup, le pouvoir politique s’est cru fondé à soutenir toutes les initiatives européennes visant à intégrer la France dans les flux mondiaux, qu’ils soient humains, économiques, monétaires, politiques ou militaires. Tous les traités convergent pour  abolir les frontières à l’intérieur de l’Union Européenne mais aussi  entre l’Union Européenne et le reste du monde dans quatre domaines stratégiques, dans l’ordre : la finance, les marchandises, les hommes et la monnaie. Les transferts de capitaux sont libres à l’intérieur de l’UE et par voie de conséquence avec tous les pays du monde. Les taux d’intérêt sont déterminés par les marchés mondiaux comme peuvent le découvrir avec effroi les infortunés ressortissants de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, qui subissent des taux usuraires[3]. C’est que l’Euro échappe aux politiques nationales pour devenir un outil d’ajustement du système financier mondial.

Pourtant, il semble que ce consensus qui rassemble les élites européennes soit de moins en moins partagé par leurs populations, plaçant les dirigeants politiques dans une situation inconfortable. D’un côté, il leur faut suivre la tendance, maintenir ouverts les marchés, les frontières, emprunter, envoyer des soldats en Afghanistan ; en somme s’adapter à l’évolution d’une mondialisation schématiquement pilotée par les banquiers new-yorkais. D’un autre côté, il leur faut composer avec des gens dont ils sont théoriquement les représentants. Or, si les membres de l’élite, politiciens, hommes d’affaires, intellectuels, journalistes, artistes, estiment qu’ils ont le devoir de  faire accepter aux gens ce qu’ils appellent la « réalité », ils manquent de légitimité démocratique pour requérir des choix énergiques, car ce sont eux qui se sont imposés à la population et non cette dernière qui les a choisis, puisque cette élite s’arrange pour s’auto-reproduire. C’est ce que clament les manifestants qui occupent les places centrales des villes espagnoles.

Aussi, à travers toute l’Europe, les groupes dirigeants sont convaincus que l’une de leurs tâches prioritaires consiste désormais à neutraliser la tendance naturelle du peuple à se cabrer contre la « réalité », ce qu’ils appellent le populisme. Ils se trouvent contraints de contrôler ce peuple qu’il ne faut ni effrayer ni conduire sur des chemins trop escarpés sur lesquels il pourrait désarçonner son cavalier. La difficulté de l’exercice se précise lorsqu’une élection se profile, avant laquelle il s’agit de ne pas désespérer les gens, tout en leur donnant quelques espoirs mais en évitant qu’ils ne s’exaltent trop pour pouvoir continuer sur la même voie, une fois l’élection passée.

Pour eux, c’est un exercice difficile, mais nous, en tant que citoyens subissant ce point de vue unanime de nos dirigeants, notre dilemme consiste à décider si nous devons ou non passer outre à leurs discours.  

En d’autres termes, avons-nous encore le choix ?

L’Europe, la France, nos régions, nos villes, nos quartiers doivent-ils se dissoudre au sein des populations venues de toutes les parties du monde ? L’Europe, la France doivent-elles accepter leur progressive disparition en tant qu’acteur sur la scène mondiale, la France doit-elle accepter la destruction de ses moyens de production industrielle et la perte de son autonomie financière ? Ou bien devons-nous nous rebeller contres ces tendances et camper sur la défense de nos positions acquises ? Devons-nous résister ?

Je ne sais pas si ces questions se posent, du moins de manière aussi abrupte, mais je constate que nos dirigeants continuent à nous cacher les alternatives qui se présentent à nous. Ils vont répétant que l’Europe, la France se battent chaque jour pour maintenir leur compétitivité dans le cadre de la mondialisation, mais sans nous dire expressément si nous sommes en train de gagner ou de perdre la guerre. Lorsque l’on livre une bataille, il est pourtant essentiel que les officiers  ne cachent pas aux soldats s’ils sont en train de gagner ou de perdre la bataille, pour que ces derniers trouvent des raisons de se battre, prendre l'offensive ou se replier en bon ordre…

 

Aussi, pour nous faire croire qu’il n’existe qu’une seule voie, celle qu’elles ont choisi pour nous, nos élites commettent une grande faute en occultant les données des choix qui se posent à nos sociétés. Car les populations ainsi dirigées se posent de plus en plus ouvertement la tragique question suivante :

 

Être dirigé, pourquoi pas, mais dirigé vers où ?

 

 



[1] « Que l'adhésion franche et massive des citoyens m'engage à rester en fonctions, l'avenir de la République nouvelle sera décidément assuré. Sinon, personne ne peut douter qu'elle s'écroulera aussitôt et que la France devra subir - mais cette fois sans recours possible - une confusion de l'Etat plus désastreuse encore que celle qu'elle connut autrefois » Charles De Gaulle, allocution du 4 novembre 1965

[2] Le 17 février 2011, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné le journaliste Eric Zemmour pour avoir prononcé sur Canal+ la phrase suivante : «Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois? Pourquoi? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait».

[3] Le 26 avril 2011, les taux à 2 ans et à 10 ans grecs ont atteint des niveaux jamais égalés : le rendement de l'obligation d'Etat à 2 ans a progressé à 23,237% et le taux sur le 10 ans à 15,058%.

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A
<br /> <br /> Ta remarque est tout à fait juste et pas très loin de la mienne: dire la vérité, dire le sens du chemin. Si les chefs ne disent pas la vérité, ils perdent la légitimité de diriger aux yeux des<br /> dirigés, même si eux, les chefs, considèrent que c'est la seule façon de diriger, de mentir. On va dans ce cas vers des remous, et  c'est le moment d'observer dans quel sens! <br /> <br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> "Lorsqu'on livre une bataille, il est pourtant essentiel que les officers ne cachent pas aux soldats s'ils sont en train de gagner ou de perdre une bataille pour que ces derniers trouvent des<br /> raisons de se battre, prendre l'offensive ou se replier en bon ordre."<br /> <br /> <br /> Je pense qu'il est surtout essentiel pour les officiers de trouver "les bons arguments" (si tant est qu'ils aient à se justifier !) pour que ces soldats agissent dans le sens voulu par les<br /> décideurs. Il en est de même pour nos dirigeants politiques.<br /> <br /> <br /> En cette période de grande" information-désinformation", qui croire ? en qui pouvons-nous faire confiance ? Je sens rôder le spectre de la manipulation...parce qu'on en est là. Tout cela pour<br /> servir la plupart du temps des intérêts personnels et/ou clanique.Les"bons, honnêtes, hommes de coeur ou de conviction" sont éliminés (R.Boulin)ou se "suicident"  !<br /> <br /> <br /> Difficile d'y voir clair !!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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