Giscard et le Zek
Dans mon blog précédent, je vous ai raconté comment j’ai été élu à Puget-Théniers en provoquant la pitié de mes concitoyens (« De la compassion comme procédé électoral ») et comment j’ai trouvé le lendemain un courrier m’invitant au Palais de l’Élysée.
Je dois avouer, avec un peu de honte, que ma première pensée fut de me demander comment VGE pouvait déjà savoir que je venais d’être élu Conseiller Municipal de Puget-Théniers ! Comme s’il était vraisemblable que le Président de la République se préoccupasse des élections de mon village ! Mais, dans mon esprit, j’associais tout naturellement ces deux évènements extraordinaires que je venais de vivre à quelques heures d’intervalle, mon élection et cette invitation…
Une fois que j’eus repris mes esprits, je m’occupais de vérifier par téléphone qu’il ne s’agissait pas d’un canular. Cette invitation était bien réelle, comme me le confirmèrent les services de l’Élysée qui m’en expliquèrent en même temps la raison, une raison moins extraordinaire que celle que j’avais imaginée. Cette dernière était bien liée aux élections municipales, mais pas à celles de Puget-Théniers. VGE souhaitait faire un geste symbolique en faveur des personnes âgées entre les deux tours des municipales. Pour ce faire, il avait décidé d’inviter les 16 ou 17 responsables des Universités du Troisième Âge qui existaient à cette époque en France et c’était donc au titre de Chargé de Mission de l’Université du Troisième Âge de Nice que j’étais convié à l’Élysée.
C’est ainsi que, le jeudi 17 mars à onze heures précises, j’étais fort courtoisement reçu par le Président de la République, quelque peu étonné tout de même par mon apparence de Zek fraichement relâché d’un camp. Je conçois que l’image que je lui renvoyais ne correspondait pas tout à fait à l’idée qu’il se faisait d’un responsable universitaire chargé des formations destinées au troisième âge. Aussi, crus-je nécessaire de lui fournir quelques explications, et, pour le rassurer tout à fait, de lui préciser que nous avions une connaissance commune, le Recteur de l’Académie de Clermont-Ferrand.
Nous étions au total une vingtaine. Aux universitaires chargés de mission s’étaient joints l’épouse de VGE, Anne-Aymone Giscard d’Estaing et le Secrétaire d’État auprès du Ministre de la Santé chargé de l’Action sociale, René Lenoir. Avant de déjeuner, chacun étant assis autour de la table dans la salle à manger de l’Élysée, VGE se lança dans une allocution destinée à expliquer sa vision de l’action de son gouvernement envers les personnes âgées, qu’il remit ensuite à la presse.
Je dois malheureusement souligner que fort peu de convives eurent la bienséance d’interrompre leurs bavardages pour l’écouter. La plupart d’entre eux avaient des opinions politiques diamétralement opposées à celles du Président de la République et le cadre solennel du Palais de l’Élysée ne suffisait apparemment pas pour leur inspirer un minimum de courtoisie à l’égard de leur hôte, le Président de la République. Cette goujaterie m’inspira une profonde et définitive répulsion à l’égard de mes « collègues », avec qui je cessais par la suite d’avoir la moindre relation. Je me refusais en effet à « coordonner » mes actions avec de tels malotrus, dans le cadre des universités du troisième âge comme ailleurs.
Le repas se poursuivit dans une atmosphère confuse, voire hostile, qui ne cessa qu’à la sortie du Palais de l’Élysée où mes « collègues », qui s’étaient largement servis en alcool, eurent bien du mal à expliquer les leçons qu’ils tiraient de cette rencontre, voire même la raison de leur présence en ces lieux occupés par un adversaire de classe.
Pour ma part, je repris aussitôt l’avion pour Nice où j’avais prévu de donner un compte-rendu de cette invitation du Président de la République, en intervenant durant le journal télévisé de FR3 Côte d’Azur, qui me l’avait proposé. Mais vous ne l’avez pas oublié, ce 17 mars se situait entre les deux tours des élections municipales. Or, j’étais, pour des raisons que j’expliquerai dans un blog ultérieur, fortement et sans doute excessivement, opposé à Jacques Médecin, Maire de Nice, qui était en ballotage difficile. C’est pourquoi je décidai de laisser mon temps de parole au Mouvement des Démocrates dirigé par Michel Jobert, afin de favoriser si peu que ce soit leurs résultats électoraux.
J’avais en effet rencontré Michel Jobert dans ses bureaux à Paris en octobre 1976, avant mon équipée praguoise, pour lui demander de prendre la tête de la liste municipale qu’il patronnait à Nice. Au cours de cette rencontre, fulminant de rage, il tournait autour de moi, ce qui me contraignit à m’asseoir pour ne pas accroitre son irritation d’avoir à me regarder de bas en haut, m’expliquant vertement qu’il « préférait être un général vaincu qu’un général mort ».
Je me retins de lui répondre qu’en tout état de cause, un général ne méritait ce nom que sur le champ de bataille. Finalement, Jacques Médecin ne l’emporta sur ses opposants que de 966 voix sur 144910 bulletins exprimés: il avait frôlé la défaite d’un cheveu et je reste convaincu que la présence effective de Michel Jobert en tête de liste aurait changé le sort de la bataille électorale, mais sans doute ne se voyait-il pas maire de Nice, d’où son ire face à ma demande.
Pour ma part, c’est par un silence médiatique volontaire que s’acheva cette journée mémorable…