L'âge de l'anxiété
16 Juillet 2014 Publié dans #PHILOSOPHIE
« L’âge de l’anxiété » est une expression passe partout. Elle est utilisée pour caractériser la période actuelle, la conscience que nous avons de tout ce qui est dangereux dans le monde moderne : la dégradation de notre environnement, l’énergie nucléaire, le fondamentalisme religieux, les menaces qui pèsent sur notre vie privée, la drogue, la violence, le terrorisme.
L’expression « âge de l’anxiété » est largement utilisée depuis la dernière guerre mondiale et elle apparaît dans de nombreux articles et ouvrages sur des domaines aussi variés que la science, la politique ou la sexualité. Mais pour celui qui a lutté contre l’anxiété depuis longtemps, cette expression n’apparaît pas justifiée .
En effet, du point de vue de celle ou de celui qui en souffre, l’anxiété est toujours et absolument personnelle. C’est une expérience de vie qui modifie la manière dont quelqu’un pense, ressent ou agit. C’est une petite chose monstrueuse qui est capable de vous paralyser lorsque vous hésitez entre une sauce au fromage bleu et une vinaigrette à mettre sur votre salade, dans la mesure où ce choix vous paraît tout d’un coup vital. Cette angoisse là n’a manifestement rien à voir avec notre temps.
Pourtant, il est indéniable que nous nous trouvons à une époque où un nombre important et croissant de personnes souffrent d’anxiété. Aux Etats-Unis, l’Institut National de la Santé Mentale estime que l’anxièté affecte désormais 18 pour cent de la population, soit quarante millions de personnes. Par comparaison, les troubles de l'humeur, principalement la dépression et la maladie bipolaire, affectent 9,5 pour cent de la population. Cela fait de l’anxiété le mal le plus frequent en matière psychiatrique et l’un de ceux qui entrainent le plus de prescriptions médicales : l’anxiété est un grand et profitable marché.
Il reste que ce n’est pas parce que cette dernière est souvent diagnostiquée et soignée à l’aide de plus en plus de médicaments que nous pouvons en conclure que nous sommes plus anxieux que nos ancêtres. C’est peut être tout simplement que nous sommes mieux soignés et que nous sommes, en tant qu'individus et du point de vue culturel, plus conscients qu’autrefois de la tendance de notre cerveau à échapper à tout contrôle.
Car les époques antérieures ont souvent été plus anxiogènes que la nôtre. L'Europe du XIVe siècle, par exemple, a connu des famines dévastatrices, des vagues de pillages, des révoltes paysannes, des conflits religieux et pour finir la peste qui a décimé la moitié de la population européenne en quatre ans. Les faits ont montré que ces évenements ont entraîné une anxiété de masse telle que « plus on savait, moins le monde avait de sens ».
Il est difficile d'imaginer que nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation aussi grave. Pourtant, il y a un aspect de l'anxiété que nous possédons plus que nos ancêtres : la conscience de soi. Autrefois, aussi anxieux qu’ils l’étaient, nos ainés ne considéraient pas l’anxiété comme un état. L'anxiété est apparue, en tant que concept psychiatrique cohérent, au début du vingtième siècle, lorsque Freud a mis en évidence l’anxiété comme le point central de l’état mental des personnes. Ce sont ses analyses qui ont engendré ensuite une recherche de plus en plus frénetique sur le concept et sur les explications possibles de l’anxiété.
Cela ne signifie cependant pas que la période actuelle se caractérise par sa tranquillité et qu’elle n’est susceptible en rien d’engendrer l’anxiété. Mais cela signifie que nous ne devons pas être prisonniers de nos incertitudes, car l'un des traits dominants de l'anxiété est la récursivité. L’anxiété commence en effet avec un souci tout simple qui fait que, plus l’on se concentre sur lui, plus il prend de l’importance et plus l’on s’en inquiète.
Aussi l’un des exercices les plus simples et les plus efficaces que l’on puisse demander à notre esprit est de lui apprendre à lâcher prise.
Mais si vous commencez à croire que l'anxiété est une fatalité, en donnant crédit au battage médiatique qui cherche à vous faire croire que la période actuelle est particulièrement anxiogène, vous allez perdre la bataille avant même de l’avoir commencé!