L'argent de la provocation et le silence des humiliés
20 Septembre 2012 Publié dans #ACTUALITÉ
Je reprends le cours de mes blogs, interrompu depuis le 9 septembre dernier en raison d'une rare conjonction de suractivité, de déplacements et de pépins informatiques, pour un court commentaire, il n'en mérite pas plus, sur la provocation de Charlie Hebdo à l'égard de la foi des musulmans.
C'est entendu, Charlie Hebdo est un journal qui fait commerce de provocations. Grâce à ce coup, il a vendu 75000 exemplaires en deux heures. Il espère dépasser 200000 exemplaires au total pour ce tirage soit quatre fois ses ventes ordinaires. Sa provocation va donc lui rapporter 375000 euros de chiffre d'affaires supplémentaire en une semaine, plus l’accroissement résiduel des ventes les semaines suivantes. Pas mal. Derrière les discours moralisateurs des journalistes, la défense de la liberté d’expression, le droit imprescriptible de la critique, on trouve le fric. C’est la dure loi de l’entreprise et je me permet à ce propos de vous renvoyer à l’ouvrage collectif que j’ai publié, il y a quelque temps, qui s’intitule « L’impossible éthique de l’entreprise ».
C’est au nom de la liberté d’expression que l’on peut tout de même défendre la provocation, réussie au plan financier, de Charlie Hebdo. La France est un pays libre, nous dit-on. Pas tout à fait. As t-on oublié la loi Gayssot du 13 juillet 1990 et ses prolongations qui interdisent de mettre en doute les camps d’extermination nazis ou le génocide arménien et qui interdisent les insultes racistes ?
Nous sommes donc libres d’insulter Mahomet ou le Christ, mais pas de critiquer les juifs ou la conception turque des massacres en Arménie en 1915. C’est une liberté limitée à un sous ensemble d’opinions qui sont tolérées, protégées tandis qu’un autre sous ensemble d’opinions sont interdites. Ne nous referons donc pas à la liberté en général en France, mais à une liberté encadrée en fonction de la vision de la société française qu'a le législateur. Ceci me paraît d’ailleurs normal, toute société devant réguler les comportements et les dire de ses membres, mais cela relativise le discours sur « La France, pays de liberté ».
Je ne m’étonne pas que les musulmans se sentent insultés dans leurs croyances, comme les chrétiens le sont lorsque l’on se moque du Christ. Lorsque vous croyez en quelque chose, lorsque vous avez fondé votre vie sur cette croyance, qu’elle soit une religion ou plus généralement une philosophie de la vie, vous ne pensez pas qu’il est profondément humiliant, blessant, offensant, d’entendre quelqu’un vous dire que c’est de la foutaise ? Et en plus, de vous interdire, en dehors d’un dépôt de plainte bien abstrait, de faire savoir publiquement votre sentiment ? vous ne croyez pas que cette situation qui vous est faite se traduit dans votre esprit par un sentiment d’injustice et d’humiliation ?
Des gens qui font du fric avec des insultes, une liberté réservée à certaines opinions, le refus de laisser l’indignation s’exprimer, voilà de quoi engendrer bien des frustrations. J’aimerais que mes dirigeants et mes journalistes soient plus respectueux de la dignité humaine. C'est sans doute trop leur demander...