L'engrenage
Nous sommes à la veille d’une décision dramatique. Que les Etats-Unis ordonnent de bombarder la Syrie et un mécanisme incontrôlable sera lancé. Qu’ils renoncent, et toutes les cartes seront rebattues.
Nous avons l’exemple d’un extraordinaire mécanisme d’emballement qui s’est achevé par la destruction de l’Europe. Il date de 99 ans. J’ai écris les lignes qui suivent dans le cadre d’un ouvrage que je projette…
Le 28 juin 1914, l’héritier de l’Empire d’Autriche-Hongrie, l’archiduc François-Ferdinand et sa femme Sophie sont assassinés à Sarajevo. Neveu de l’Empereur François-Joseph, François-Ferdinand est inspecteur général des forces armées autrichiennes. Son entêtement à vouloir visiter Sarajevo le 28 juin 1914, le jour de la fête nationale de la Serbie, est considéré par les patriotes serbes comme une provocation, d’où l’assassinat du couple princier à coups de revolver par l’étudiant Princip.
Pendant un mois, l’événement n'entraîne en France aucune inquiétude particulière, au point que le président de la République Raymond Poincaré et le président du Conseil René Viviani maintiennent leur projet de voyage en Russie et en Scandinavie. Pendant que l’opinion publique se passionne pour le procès de madame Caillaux, ils sont reçus à Saint-Pétersbourg du 20 au 23 juillet.
Le 23 juillet à 18 heures, l’Autriche-Hongrie envoie son ultimatum à la Serbie. L’ultimatum exige le châtiment des coupables, l’arrêt de la propagande nationaliste et la participation de policiers autrichiens à l’enquête. Le gouvernement serbe dispose de 48 heures pour l’accepter. Cet ultimatum avait été soigneusement préparé.
Dés le 2 juillet, l’Allemagne avait assuré l’Autriche de son soutien. Trois jours plus tard, François-Joseph écrit à l’Empereur d’Allemagne, Guillaume II, en préconisant « l’élimination de la Serbie comme facteur politique dans les Balkans ».
Guillaume II adhère à ce but stratégique, malgré les risques de réaction de la Russie. Bertchtold, le ministre austro-hongrois des affaires étrangères convainc le conseil des ministres de déclarer la guerre à la Serbie, en se référant au soutien allemand. Il choisit la date du 23 juillet, quand Poincaré et Viviani quittent la Russie, pour éviter une réaction rapide du gouvernement français.
Le 24 juillet, les ambassades allemandes remettent une note aux gouvernements européens, insistant sur le caractère localisé du conflit. La Russie prône la modération à la Serbie et demande un délai supplémentaire à l’Autriche-Hongrie, avec l’appui de la France et de la Grande-Bretagne. Elle fait aussi savoir qu’elle ne restera pas neutre en cas de guerre austro-serbe.
Le 25 juillet, peu avant 18 heures, la Serbie fait savoir qu’elle accepte les termes de l’ultimatum, à l’exception de la participation des policiers autrichiens à l’enquête. L’Autriche-Hongrie répond qu’une acceptation partielle équivaut à un refus. Les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues. La Serbie, qui ne se faisait pas d’illusions, a ordonné la mobilisation générale de ses troupes depuis 15 heures. L’Autriche mobilise huit corps d’armée. La Russie lance des mesures de pré mobilisation.
Le 26 juillet, l’Allemagne demande à la France de modérer la Russie. La France refuse, par crainte d’affaiblir l’alliance franco-russe. La Grande-Bretagne propose de soumettre le différend à une conférence de quatre pays étrangers au conflit, l’Allemagne, l’Italie, la France et la Grande-Bretagne. L’Allemagne refuse, pour ne pas humilier l’Autriche-Hongrie, argumente t-elle.
Le 27 juillet, la Russie prend contact avec l’Autriche-Hongrie pour qu’elle réduise ses exigences à l’égard de la Serbie. L’Autriche refuse. Ce n’est que ce jour qu’en France, on commence à s’inquiéter sérieusement du risque de conflit et sur les boulevards parisiens, les syndicats organisent une manifestation contre la guerre.
Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie pousse les feux, c’est le cas de le dire : elle déclare la guerre à la Serbie. Le conflit peut encore rester limité. Tout dépend désormais du choix de la Russie. Le même jour, le tsar signe un ordre de mobilisation partielle de treize corps d’armées face à la frontière autrichienne. Ses généraux craignent que les Allemands ne l’interprètent comme une mobilisation générale, ce qui placerait la Russie en position d’infériorité. C’est pourquoi, par précaution, ils pressent le tsar de signer l’ordre de mobilisation générale.
Le 29 juillet, l’Allemagne prévient la Russie qu’un ordre de mobilisation générale de sa part entraînera la mobilisation allemande.
Un nouveau meeting contre la guerre se tient à Paris.
Le gouvernement allemand prépare déjà son plan Schlieffen. Dans ce cadre, il demande au gouvernement belge de « prévenir l’attaque française » en acceptant son assistance. Le soir, Guillaume II presse le tsar Nicolas II de laisser la Russie spectatrice du conflit austro-serbe, sans obtenir que l’ordre de mobilisation partielle contre l’Autriche soit levé.
Le 30 juillet à 16 heures, le tsar franchit le Rubicon : il signe l’ordre de mobilisation générale.
À SUIVRE.