L'éternel retour des régimes autoritaires
16 Novembre 2013 Publié dans #ACTUALITÉ
Le 11 novembre dernier, je concluais mon blog intitulé « Le printemps arabe a t-il jamais existé » par la proposition qu’il existait plutôt des printemps arabes spécifiques qu’un printemps arabe.
Il faut donc, si l’on accepte cette idée, replacer ces mouvements en cours dans leur double contexte, temporel et national pour saisir leur signification et anticiper leurs futures évolutions :
Les “Printemps arabes” sont les légataires d’une protestation sociale et politique qui n’a jamais cessé depuis un demi siècle. Les émeutes de la faim en 1979 en Egypte, en 1984 en Tunisie, en 1989 en Jordanie, les mobilisations civiques en 2005 au Liban, les grèves en 1978 et en 2008 en Tunisie et tout au long des années 2000 en Egypte ont été les matrices des « printemps arabes ». Ces protestations s’inscrivaient dans le cadre de régimes autoritaires, tout d’abord nationalistes comme ceux de Nasser en Egypte, Modibo Keita au Mali, Ben Bella et Boumediene en Algérie, Ben Youssef, Ben Salah et jusqu’en 1969 Bourguiba lui-même en Tunisie, puis économiquement libéraux comme Sadate en Egypte, Moussa Traore au Mali, Bourguiba après 1969 et Ben Ali en Tunisie, Chadli en Algérie.
De plus, les situations politiques se sont cristallisées dans le cadre national, un cadre que le panarabisme et l’islam sont incapables de dissoudre. L’Etat-nation laïque engendré par ce cadre national s’est accompagné de l’émergence d’une classe dirigeante « moderne », éduquée à l’européenne, négligeant la religion, tournant le dos à la « tradition » avec une conception autoritaire du réformisme qui a réduit le gros de la population à une situation subalterne.
Ce processus s’inscrit dans une asymétrie ethno-confessionnelle et territoriale, d’où la question copte et chrétienne, les problèmes kurde et kabyle, mais aussi le mécontentement des provinces de l’intérieur en Tunisie, de la Jezirah en Syrie, de la Cyrénaïque en Libye, de la Haute-Vallée du Nil en Egypte ou du Nord au Mali. La plupart des conflits qui accompagnent ou les « Printemps arabes » sont des produits dérivés de cette double asymétrie, qui entraine aussi la remise en cause des factions qui se nouent autour d’un homme, d’une famille ou d’une ville.
L’exercice du pouvoir dans ces États autoritaires est dédoublé entre des institutions formelles, telles que le Parlement, le Parti Unique ou le Chef de l’Etat, et des structures occultes qui semblent contrôler l’essentiel du jeu. On a ainsi souvent l’impression que le chef de l’Etat est le fondé de pouvoir d’un Conseil d’Administration auquel il doit rendre des comptes.
Les cas de l’Algérie et de la Syrie sont révélateurs, comme l’ont montré les processus de succession présidentielle. Or, les « Printemps arabes » ont sans doute accentué ce dédoublement des structures d’autorité en incitant l’Etat profond à s’enfouir dans des replis secrets d’où il peut mettre en œuvre une stratégie de la tension destinée à favoriser la restauration autoritaire, avec les ressources occultes des pétromonarchies.
Aussi l’un des enjeux des “Printemps arabes” a trait à la capacité des tenants de la situation autoritaire à perpétuer leur emprise sur le monde des affaires, en dépit des changements politiques. L’armée, important bénéficiaire des ressources économiques de ces États, est particulièrement concernée par cet enjeu. En Algérie, l’armée garde ostensiblement le pouvoir politique, elle vient de le reprendre en Egypte pour le céder dans quelques mois à un fondé de pouvoir.
Comme ces situations autoritaires s’enracinent dans l’histoire et dans les différentes sociétés nationales, elles disposent d’une véritable assise populaire car elles sont autant produites par le bas que par les politiques publiques d’un Etat supposé omnipotent.
Certes, il ne s’agit pas de minimiser l’ampleur des répressions auxquelles se sont livrés les États autoritaires en Syrie, en Irak, en Algérie et même en Tunisie. Mais la résilience des situations autoritaires ne s’explique pas seulement par le recours systématique à la coercition. Ces régimes ont également procédé à des redistributions de revenu par le biais de subventions publiques aux produits de première nécessité, dont la suppression a toujours été le déclencheur de graves émeutes. Ils ont procédé par cooptation et par une surveillance économique qui ont engendré une part de servitude volontaire. De plus, les régimes autoritaires doivent composer avec une société civile, qui est celle des guildes du bazar, des ulémas, des syndicats ou des familles.
Il nous semble probable que les processus de restauration autoritaire reconduisent les systèmes qui ont précédé les « révolutions arabes », même si les événements de ces deux dernières années sont en train de semer les graines de futures transformations.