La Bérézina, le Dunkerque de la retraite de Russie
Je termine ma série de blogs sur la Biélorussie avec le récit de la bataille de la Bérézina, qui se trouve sur le sol biélorusse à 120 kms au nord-est de Minsk.
En français courant, l’expression « c’est la Bérézina » est synonyme de catastrophe, de déroute complète. C’est un contresens absolu car cette bataille a permis au contraire l’extraordinaire sauvetage de l’armée napoléonienne alors qu’elle était menacée d’anéantissement. L’armée en retraite était en effet à la fois acculée à la Bérézina tout en étant prise dans les mâchoires de trois armées russes rassemblant deux fois plus d’effectifs. Cette incroyable prouesse, comparable à l’évacuation de Dunkerque par les troupes anglo-françaises en mai-juin 1940, est l’œuvre conjointe de Napoléon d’une part, au sommet de son art de la manœuvre et du commandement, et des qualités de courage, de détermination et de savoir-faire de ses soldats d’autre part, parmi lesquels se distinguent en particulier les sapeurs du général Eblé.
La grande Armée franchit le Niémen en direction de Moscou le 24 juin 1812. Le 15 septembre, après la bataille de la Moskova, Napoléon s’installe à Moscou auquel le gouverneur de la ville, le comte Rostopchine, met aussitôt le feu. Napoléon songe dès le lendemain de l’incendie à se retirer de Moscou et revenir à Smolensk. Mais il espère l'ouverture prochaine de négociations et il ne veut pas abandonner le gage que représente l'ancienne capitale des Tsars. De son côté, Alexandre oppose un silence méprisant aux ouvertures de Napoléon, malgré les offres de paix faites à Koutousov le 4 octobre par le général Lauriston. Dès lors, Napoléon ne sait que faire. Peut-il marcher sur Saint-Pétersbourg à la veille de l’hiver et avec les forces de Koutousov dans le dos ? impraticable. Allons, il faut se résigner à quitter Moscou pour se replier sur Smolensk ou Vitebsk, mais symboliquement, comment battre en retraite sans perdre la face ? Le 13 octobre, la ville se réveille pour la première fois sous une mince couche de neige. Dans la soirée du 18 octobre enfin, l’Empereur apprend que les troupes du maréchal Murat, fortes de vingt mille hommes, ont été attaquées par les Russes. Elles ont perdu plus de 2 000 soldats, 36 canons et un drapeau. C’est la première fois, depuis l'entrée des Français dans Moscou, que les Russes passent avec succès à l'offensive. Napoléon y voit le prétexte nécessaire pour quitter Moscou : « Marchons sur Kalouga et malheur à ceux qui se trouveront sur mon passage ! ». Napoléon n'est resté que 34 jours à Moscou...
Dés le 19 octobre à sept heures du matin, les premiers Français commencent à quitter la ville. Le 22 octobre, près de 100 000 hommes l’ont abandonné. Seuls restent sur place les 8 000 hommes du maréchal Mortier qui ont ordre de miner le Kremlin et les principaux édifices publics. Koutousov a massé 85 000 fantassins et 35 000 cavaliers derrière la ville de Malo-Iaroslavets située à une cinquantaine de kilomètres au Nord de Kalouga, pour barrer la route de Napoléon. La bataille s'engage le 24 octobre. Dix mille hommes sont tués ou blessés, dont 4 000 Français et Italiens et 6 000 Russes. Napoléon doit désormais décider s’il doit livrer une nouvelle bataille à Koutousov qui s’est fortifié. Il s'agirait d'obtenir une percée en direction de Kalouga d'où l'on pourrait gagner Smolensk en traversant une région jusqu'alors épargnée par la guerre. L'autre solution consiste à se replier sans combattre sur Mojaïsk et reprendre la route suivie lors de la marche vers Moscou. Cette dernière voie est plus courte que la précédente, mais elle a été transformée en désert et est constamment attaquée par des partisans. Consulté, l’État-major pense que la sagesse consiste à éviter le combat et à se retirer, malgré les inconvénients de la route directe.
Napoléon s’y résigne et le 26 octobre, la retraite commence. La Grande Armée tourne le dos à Malo-Iaroslavets et prend la direction de Borowsk. L'objectif est désormais Smolensk où la Grande Armée pourrait prendre ses quartiers d'hiver, si les circonstances s'y prêtent. La colonne s'étire sur des kilomètres, avec Napoléon qui chevauche en tête entouré de sa Garde, suivi par les corps de Murat, de Ney et du prince Eugène. Le maréchal Davout ferme la marche. D'innombrables chariots tentent de suivre, chargés de blessés et alourdis d'objets hétéroclites. Ces traînards sont la proie des Cosaques et des partisans. Le moral de la troupe est bas, d’autant plus que le ravitaillement est impossible et que la nuit, la température commence à descendre au-dessous de zéro. Les chutes de neige deviennent fréquentes. Le 29 octobre, la troupe traverse le champ de bataille de Borodino, toujours jonché de cadavres.
Le 31 octobre, après avoir parcouru plus de 100 kilomètres depuis Malo-Iaroslavets, l’armée fait une pause à Viasma...
Koutousov, de son côté, résiste à la tentation de se lancer à la poursuite de Napoléon pour lui livrer bataille, malgré les souhaits du général Bennigsen et du commissaire britannique. Il pense que les Français sont perdus et qu’il est donc inutile de les attaquer de front ; il suffit de les harceler en attendant de trouver la bonne occasion de leur porter le coup fatal. Il donne donc l’ordre au général Miloradovitch de suivre Napoléon sur son flanc gauche et aux Cosaques du général Platov de se porter sur son flanc droit. Lui-même et le gros de l'armée se contenteront de marcher sur les talons des fuyards.
Il prévoit que l'étau pourrait se refermer sur eux aux environs de Viasma...