De la compassion comme procédé électoral
28 Mars 2014 Publié dans #INTERLUDE
Je vous ai conté en trois épisodes (« La foudre », « Echec et presque mat » et « Le temps de la révolte et de l’oubli ») mes aventures médicales à Prague de la fin de l’année 1976 et du début de l’année 1977. Ces aventures ont eu une suite, non-médicale cette fois-ci, que je relate ci-dessous.
De retour de Prague, je me suis réfugié à Puget-Théniers chez mes parents, faisant une sorte de retour vers l’enfance. Pendant une quinzaine de jours, les séquelles de l’opération se sont faites lourdement sentir, m’interdisant de quitter la maison. Puis je suis sorti dans le village, présentant une physionomie inhabituelle avec mon crâne rasé et une silhouette sérieusement amincie par ce double choc opératoire: toutes les apparences d’un Zek, ce prisonnier des goulags soviétiques!
Je ne me doutais pas que cette allure, qui provoquait la sympathie de mes concitoyens, aurait des conséquences politiques.
En effet, comme en ce moment, le renouvellement des conseils municipaux se profilait en ce début d’année 1977. Étant en permanence sur place, je m’intéressais à la préparation des élections à Puget-Théniers, vivement encouragé par mon père. Car ce dernier avait de tout temps été impliqué par les élections locales. Mon grand-père, François Boyer, avait été maire du village de 1919 à 1944. Mon père, René Boyer, avait été élu Conseiller Général du canton à partir de 1946, puis longtemps conseiller municipal et opposant passionné du Maire élu après mon grand-père, J. B., toujours en place en 1977 et candidat au renouvellement de son mandat.
Il m’incitait donc à me présenter sur une liste d’opposition et je cédais à sa demande, tant je le voyais revivre avec plaisir au travers de ma personne ses campagnes politiques passées et souvent perdues, car il avait un tempérament politique plus enthousiaste que calculateur.
Je m’engageais donc dans la campagne aux côtés de G. L., le premier adjoint de J. B., qui rêvait depuis longtemps de supplanter ce dernier à son poste de Maire : le calife à la place du calife.
Notre liste avait pour avantage de couvrir tout l’éventail politique, des communistes conduits par mon camarade de classe J.-P. A. à moi-même, plutôt à droite, en passant par notre tête de liste, proche des socialistes. La campagne fut curieuse. Mon père fraternisait avec ses vieux ennemis communistes (on croyait parfois assister à des scènes des films de Don Camillo), nos adversaires stupéfaits de cette transgression idéologique suffoquaient d’indignation, les familles du village se divisaient et moi, je trouvais le moyen d’oublier dans cette guerre picrocholine l’épisode médical qui avait failli m’emporter.
Vint le jour des élections, la tension qui entourait le bureau de vote, les pensionnaires de la maison de retraite que se disputaient les deux listes, transportés en voiture depuis l’hospice, souvent en étant kidnappés au passage, alors que personne ne leur prêtait le moindre égard la veille.
Puis le temps arriva du dépouillement des bulletins, interminable, puisque chaque électeur avait le droit de composer sa liste personnelle, rayant celui-là au profit de celui-ci, en fonction de rancœurs qui pouvaient remonter à plusieurs décennies ou qui dépendaient d’obscurs conflits de familles. Si mon souvenir est exact, quatre personnes furent élues au premier tour sur les treize postes de conseillers à pourvoir, J. B., le maire sortant, G. L. son premier adjoint félon, un autre membre de notre liste et moi-même.
Je fus celui qui, à ma propre surprise, obtint le plus de voix, sûrement en raison de la sympathie que suscitait mon état physique chez les Pugétois. Puis, le dimanche suivant, notre liste parvint à faire élire quatre autres de ses membres, arrachant ainsi d’un cheveu l’hôtel de ville au vieux maire sortant.
Le lendemain matin du premier tour, le 14 mars 1977, tout ragaillardi de ma victoire électorale, je rentrais chez moi à Nice.
Quelle ne fut pas ma stupéfaction de trouver dans ma boîte à lettre un courrier en provenance du Palais de l’Élysée qui contenait une invitation à m’y rendre pour le jeudi matin suivant à 11 heures, avec en prime un repas à partager avec le Président de la République, Valery Giscard d’Estaing…
(À SUIVRE)