La volonté de puissance
20 Juillet 2013 Publié dans #PHILOSOPHIE
Si, depuis le 8 juillet dernier, je n'ai plus publié de blog, ce n'est pas par manque de sujet ou de motivation, mais parce que je suis absorbé jusqu'à la fin juillet par l'impérieuse nécessité de finir un travail qui m’a été confié.
Enfin, j'ai trouvé quelques dizaines de minutes pour reprendre le cycle de mes blogs, qui se poursuit avec la pensée de Nietzsche.
Le vendredi 28 juin dernier, je traitais de "la force de donner un sens à sa vie". Elle trouve son origine dans notre volonté de puissance, que nous ne pouvons nier:
La vie a t-elle un sens ? Mais, franchement, est ce que cela a un sens de se poser cette question ?
Nietzsche y répond par la négative :
« La valeur de la vie ne saurait être évaluée. Pas par un vivant qui est partie prenante dans la question. Ni évidemment par un mort. Par personne. » (Le Crépuscule des idoles, le problème de Socrate, 2).
En vérité, personne ne peut trouver un sens global au monde, les plus stupides maudissant Dieu de tout le mal qui se produit sur Terre :
« Le caractère général du monde est de toute éternité chaos, au sens de l’absence d’ordre, d’articulation, de forme, de beauté, de sagesse et de tous nos anthropomorphismes esthétiques, quelque nom qu’on leur donne. » (Le Gai Savoir, III, 109).
Et pourtant, si nous observons ce qui se passe dans l’univers, nous voyons des torrents d’eau creuser inlassablement la roche pour se frayer un chemin, des termites grignoter des arbres pendant des décennies, des araignées tisser leur toile, le lierre envahir un mur, une entreprise racheter ses concurrents, un prédateur manger ses proies, des trous noirs engloutir des planètes…
Aucune loi, aucun ordre ne semble régner sur ces forces qui s’affrontent, qui se détruisent, qui s’allient parfois. Pourtant, chaque élément de l’univers possède son propre sens : croitre, augmenter, s’épandre, s’intensifier, se renforcer.
Nietzsche a donné un sens à ce but universel : la volonté de puissance.
Car la vie n’est pas simple volonté de vivre. Elle n’est pas non plus une simple lutte pour survivre. Nous ne nous contentons pas d’être, nous voulons davantage.
Il est tentant, donc facile, de condamner l’immoralité de cette lutte sans fin qu’est la vie. On peut estimer que l’homme a vocation à mettre fin à cette lutte insensée et renoncer à la volonté de puissance pour trouver enfin la paix.
Mais le paradoxe est que cette lutte contre la volonté de puissance est elle-même volonté de puissance: en condamnant cette dernière, nous augmentons notre propre puissance en tant qu’autorité morale opposée à la volonté de puissance ! Nous sommes du côté des gentils, nous sommes pour la paix…
Même l’ermite qui se retire dans le désert est motivé par sa volonté de puissance, puissance de l’autonomie envers le reste du monde. Le scientifique qui renonce au pouvoir politique veut la puissance lorsqu’il cherche à soumettre la nature à ses théories. De fait, il est vain de lutter contre la volonté de puissance : nous sommes volonté de puissance, nos instincts, nos pulsions, nos idées, nos habitudes qui veulent dominer ceux des autres !
Paradoxalement, se soumettre à une autorité semble le contraire de la volonté de puissance, sauf que du même coup l’on participe de la puissance dominante et l’on profite de cette puissance supérieure pour soumettre plus faible que nous. La tyrannie des petits chefs nous le montre quotidiennement dans les administrations et les entreprises.
Tout exécutant sait que sa soumission lui permet de participer à la domination totale des autres, ceux qui ne veulent pas se soumettre. Le summum de cette soumission consiste à sacrifier sa vie à une idée. Se faire exploser face à un supposé ennemi de l’idée permet d’atteindre dans la mort une puissance inaccessible dans la vie.
Cette morale du sacrifice prend, heureusement pour les autres, des formes plus douces, comme l’abnégation au travail, l’action charitable ou même le renoncement à un héritage qui inspira à Nietzsche le texte suivant à propos du philosophe Wittgenstein, étalant sa grandeur d’âme parce qu’il renonçait à son héritage :
« En vous immolant, vous vous êtes enivré du sentiment de puissance. Vous vous sacrifiez seulement en apparence, car dans votre pensée, vous jouissez de vous-même comme si vous étiez Dieu » (Aurore, IV, 215).
Voilà Wittgenstein démasqué et nous tous avec lui, qui nions notre volonté de puissance, alors qu’elle est inhérente à la vie…