Le jour où Cambon terrassa Robespierre
3 Novembre 2013 Publié dans #HISTOIRE
Donc (voir mon blog du 9 octobre dernier, intitulé " À l'été 1794, un trou noir surgit au coeur du pouvoir"), le 26 juillet 1794, Robespierre montait à la tribune de la Convention et passait à l'attaque…
Désorientant les députés, il appelle à épurer sans plus attendre les deux Comités, le Comité de Salut Public et le Comité de Sûreté Générale. Les admirateurs de Robespierre oublient souvent de préciser que c’est en s’attaquant à la gauche de l’Assemblée et non à la droite, qu’il est tombé : pour s’assurer du soutien de la droite, Robespierre rappelle d'ailleurs au cours de sa harangue comment il avait sauvé soixante-quinze Girondins, puis il s’attaque à la gauche de l'hémicycle en la stigmatisant pour son système financier suspect, sa exécrable conduite de la guerre et le mauvais usage qu’elle faisait de la Terreur.
Il déclare notamment : « La contre-révolution est dans l'administration des finances... Quels sont les administrateurs suprêmes de nos finances ? Des Brissotins, des Feuillants, des aristocrates et des fripons connus : ce sont les Cambon, les Mallarmé, les Ramel. »
Stupéfaite, l'Assemblée commence par approuver Robespierre. Mais il vient de mettre en cause nommément Pierre Joseph Cambon. Ce dernier n’est pas un député anonyme : négociant en toiles à Montpellier et député de l’Hérault, il fait partie du Comité de Salut Public depuis avril 1793. Sa réputation d’expert financier lui a valu de devenir Président du Comité des Finances. Il a présidé plusieurs fois la Convention. C’est lui qui a fait voter le Décret sur l’administration révolutionnaire française des pays conquis, à propos duquel il a écrit au Général Dumouriez chargé d’administrer la Belgique conquise : « Quand on aura ruiné les Belges*, quand on les aura mis au même point de détresse que les Français, alors on les admettra comme membres de la République ». Ce n’est donc pas un tendre ! C’est lui aussi qui a fait approuver la loi sur la confiscation des biens du clergé et qui a créé le 24 août 1793 le Grand-Livre de la Dette publique par lequel la Convention, afin de rallier les rentiers à la Révolution, reconnaît les dettes de l’Ancien Régime.
À cet instant, sa peau ne vaut plus très cher, c’est pourquoi il a le courage de monter à la tribune pour contrer Robespierre où il déclare dans un silence de mort : « Avant d'être déshonoré, je parlerai à la France, un seul homme paralyse la volonté de la Convention : Cet homme c'est Robespierre ! ».
Le discours de Robespierre avait été suffisamment général pour que, peu ou prou, chacun des Conventionnels présents se sentent visés par ses imprécations. La réponse de Cambon et le silence de Robespierre, empêché de parler par Thuriot qui présidait ce jour là la Convention, firent que d’autres Conventionnels prirent assez de courage pour se ruer à la tribune, comme Billaud-Varenne qui hurla : « Il faut arracher le masque ! J'aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence complice de ses forfaits ! », suivi par Panis qui se fit un devoir d’avertir la Convention qu'une liste de proscrits avait déjà été dressée puis par Challier qui somma Robespierre de se dévoiler: « Quand on se vante d'avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez ! » ce qui conduisit laConvention à désapprouver Robespierre.
Ce dernier quitta derechef la séance pour se rendre au Club des Jacobins où il se fit acclamer en dénonçant la gauche du Comité de Salut Public, tandis que Collot d’Herbois et Billaud-Varenne partaient immédiatement aux Tuileries pour avertir le Comité de Salut Public, hostile en majorité à Robespierre, de la fronde de la Convention.
* l’ironie de l’histoire voulut que Pierre Joseph Cambon fut contraint de s’exiler sous la Restauration chez les Belges, ceux la même qu’il voulait affamer. C’est à Bruxelles qu’il est mort le 15 février 1820…