Le pouvoir des élites au cours du temps
Face au redoutable pouvoir central, les révoltes ont toujours échoué qu’elles soient régionales, comme en Vendée, ou sociales comme en 1848 ou lors de la Commune.
C’est que le pouvoir des élites s’appuie sur la structure étatique la plus puissamment centralisée du monde, Chine y compris : aucun Président ne dispose de plus de pouvoir que le Président de la République Française.
Cette structure centralisée du pouvoir est le facteur explicatif principal de l’autonomie des élites par rapport au peuple, qui a été récemment illustrée par le rejet du projet de Constitution Européenne par referendum en 2005 : les élites lui ont substitué avec arrogance le Traité de Lisbonne deux ans plus tard, soigneusement non soumis à un referendum. La permanence de cette autonomie des élites, qui les autorise à sacrifier le peuple à leurs convictions, est illustrée par de nombreux exemples historiques, des plus récents aux plus anciens :
Les procédures répétées de modification de la Constitution de la Ve République, sans passer par des referenda.
Le processus d’indépendance de l’Algérie, orchestré par De Gaulle, prodigue de mensonges et du sang des harkis.
Le déclenchement de la guerre de 1914-1918, sur lequel je reviendrais infra.
La déclaration de la guerre de 1970.
La politique européenne de Napoléon Bonaparte.
La politique de la Terreur menée par Robespierre et ses affidés.
La guerre permanente menée par Louis XIV et l’abrogation de l’Édit de Nantes.
Cette liste (non exhaustive) illustre le caractère profond et pérenne de la domination des élites sur un peuple qu’elle est toujours prête à sacrifier à ses convictions.
Parmi les exemples précédents des choix stratégiques effectués par les élites sans l’aval du peuple, il me paraît utile d’analyser le processus politique immédiat qui a conduit à la guerre de 1914-1918. En effet, la France officielle s’apprête à célébrer le sacrifice des poilus pour la France, sous-entendant qu’un unanime et immense élan populaire a soutenu la déclaration de guerre en 1914.
C’est une belle tentative de travestissement des évènements historiques, destinée sous le couvert de l’hommage au courage du peuple à lui rappeler qu’il est destiné à servir de chair à pâté selon le bon vouloir des élites. Après tout si nos ainés ont accepté de mourir nous pouvons bien accepter que nos enfants soient destinés au chômage de masse décidé par nos élites.
Observons, date par date, l’évolution des décisions des élites de 1913-1914 et de l’opinion publique :
Le 25 mai 1913, une grande manifestation a lieu au Pré-Saint-Gervais. Le directeur du Figaro, Gaston Calmette commence sa campagne contre Joseph Caillaux, réputé pacifiste et partisan de l’instauration de l’impôt sur le revenu : ce n’est pas d’hier que date la collusion des grands médias avec le pouvoir, car, de fait ces medias lui appartiennent, quoi qu’en prétendent ses employés, les journalistes.
Le 19 juillet 1913, les élites décident de porter la durée du service militaire à trois ans, au lieu de deux ans. L’argument invoqué est, qu’au moment d’une mobilisation éventuelle, la France ne pourrait aligner que quatre cent quatre vingt mille soldats contre huit cent cinquante mille soldats pour l’Allemagne. Cette comparaison n’était bien entendu valable que pendant les quatre jours qui suivaient celui de la mobilisation, cette dernière permettant aux deux millions cinq cent mille réservistes de rejoindre leurs affectations et de rétablir l’équilibre des effectifs mobilisés. L’accroissement de la durée du service militaire n’était donc pas indispensable, tout en constituant un signal clair de préparation à la belligérance adressé à l’Allemagne. « Si vis pacem, para bellum », c’est ainsi qu’elle fut présentée.
Mais la loi ne fit pas l’unanimité, notamment auprès des appelés de la classe 1911 qui virent leur temps de service prolongé d’un an. Ces appelés protestèrent, manifestèrent, chantèrent l’Internationale et tentèrent parfois de quitter collectivement les casernes. Rien n’y fit. Le nombre d’appelés passa donc en quelques mois à sept cent cinquante mille hommes, sans que la préparation effective à la guerre en fût accrue, car au moment de son déclenchement, les équipements militaires se révélèrent dramatiquement insuffisants, puisque les soldats français furent privés de casques pendant plus d’un an.
Vous avez bien lu : les soldats français furent privés de casques jusqu’en septembre 1915, provoquant, on peut s’en douter la mort d’un nombre incalculable de soldats ! Il est en effet remarquable que l’armée française fut la seule à s’engager dans la guerre de 1914 sans casques pour ses soldats : les élites comptaient plus sur le sacrifice total des soldats du peuple, sans casques et en pantalon garance, pour mener à bien leurs plans stratégiques que sur la qualité de leur organisation.
Si personne ne souhaitait la mort de ce million et demi de jeunes hommes, les élites estimaient toutefois que la réalisation de leurs objectifs justifiait ce prix.