le silence et la propagande
21 Août 2011 Publié dans #PHILOSOPHIE
Dans l’article de mon blog, publié le 31 juillet dernier et intitulé « Un projet scientifique sans signification? », je m’interrogeais sur le sens de la science. Dans cet article, nous confrontons les sciences à la pratique de la vie.
Le silence
Tout travail scientifique présuppose toujours la validité des règles de la logique et de la méthodologie qu’on lui applique. En outre, on présuppose également que le résultat auquel aboutit le travail scientifique vaut la peine d'être connu.
Or, l’intérêt du résultat que l’on recherche n’est pas démontrable par des moyens scientifiques. Les sciences de la nature, comme la physique, la chimie ou l'astronomie présupposent qu'il est essentiel de connaître les lois dernières du devenir cosmique, non seulement pour les résultats pratiques que l’on en attend, mais aussi par principe, parce que cette connaissance a une valeur intrinsèque. Pourquoi? Parce que.
Selon le même angle, regardons quels sont les principes de la médecine. Cette dernière pose comme principe premier que le devoir du médecin consiste à conserver la vie de ses patients le plus longtemps possible et à limiter, autant que faire se peut, leur souffrance. C’est en vertu de ce principe, débattu à juste titre, que le médecin s’efforce de maintenir en vie tout moribond même si ce dernier ou sa famille le supplie d’abréger ses souffrances. Sous peine de poursuites pénales, le médecin ne peut pas agir autrement, car il s’écarterait du principe fondamental de la médecine qui refuse de se poser la question de savoir si la vie mérite toujours d'être vécue, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle se déroule.
C’est ainsi que les sciences physiques ou médicales nous apportent des réponses techniques sur ce qu’il faut faire pour maîtriser la nature ou la vie, mais qu'elles refusent de se poser la question de savoir si cela a un sens, en fin de compte. Elles n’y répondent pas parce qu'elles n’ont rien à dire sur le sens de la vie.
La propagande
Mais nous n’avons pas encore abordé le cas des sciences humaines, qui posent de leur côté la redoutable question de leur utilisation à des fins politiques ou idéologiques. Rien n’est plus facile en effet de mêler l'analyse et le jugement de valeur dans le cadre de la sociologie, de l’économie, du droit, de la psychologie, de l’histoire, de la géographie ou de l’ethnologie. Aborder scientifiquement une structure humaine est une chose, prendre une position politique en est une autre. Les termes que l’on utilise alors ne sont plus les moyens d'une analyse scientifique, mais ceux d’un appel politique en vue de solliciter des prises de position chez ceux qui vous lisent ou vous écoutent. Ce ne sont plus des outils d’analyse mais des moyens de combat. C’est une vilenie que d'employer ainsi les mots dans une salle de cours ou dans un studio de télévision. Naturellement, on attend par principe des professeurs ou des journalistes qu’ils n’imposent pas à leur auditoire une quelconque prise de position, mais il est aussi facile que déloyal de prétendre « laisser parler les faits » tout en les choisissant et en les orientant pour influencer ses auditeurs. C’est toute l’ambiguïté des sciences humaines qui sont parfois dévoyées en plaidoyers politiques.
Il est vrai qu’il est difficile, voire impossible d’être neutre, que soit pour un professeur, pour un écrivain ou pour un journaliste. Mais on peut du moins attendre de celui qui professe ou qui s’exprime dans les medias de la probité intellectuelle. Cela signifie qu’il doit faire saisir à son auditoire qu’il faut toujours distinguer les faits, les logiques ou les structures des sociétés humaines et les réponses à apporter à la manière dont il faudrait agir dans la cité. Si bien que la tâche primordiale de celui qui veut enseigner à l’autre les sciences humaines consiste à lui apprendre que l’on y trouve des faits inconfortables, c’est-à-dire des faits discordants avec l’opinion personnelle que l’on s’est forgé à priori.
Se faire le champion de convictions pratiques « au nom de la science » est finalement inconcevable, parce que c’est faire fi des différentes valeurs qui s’affrontent dans le monde : du point de vue scientifique, « œil pour œil » est-il une meilleure réponse que de « tendre l’autre joue » lorsque vous subissez un affront?
(Adapté de Max Weber, « le métier et la vocation de savant »)