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Le blog d'André Boyer

Le temps de la révolte et de l'oubli

10 Mars 2014 Publié dans #INTERLUDE

 

 

La vie n’était pas facile pour mes deux visiteuses, ma mère et Julie.

Pont grisDehors, la ville était glaciale, la nourriture très sommaire semblait essentiellement constituée de salades de pommes de terre, les arrivages de produits frais étant restreints. Il fallait faire la queue dés la première heure du samedi matin pour obtenir la banane, le yaourt ou le jambon que je réclamais. Il leur fallait de plus courir de sinistres commissariats pour obtenir une prolongation de visa. Ma mère rassurée par ma progressive récupération et par la présence de Julie n’est guère restée plus d’une semaine, mais Julie est restée tout le temps de mon hospitalisation, environ trois semaines, et il lui fallait justifier la prolongation de son séjour.

Elle s’était de plus adressée au consulat de France pour leur signaler ma présence à l’hôpital et leur demander de suivre le dossier. En vain. Dans la bonne tradition de l’arrogance de ces messieurs des Affaires Étrangères, ils n’étaient pas disposés à s’intéresser à la survie d’un de leur concitoyens, trop occupés à se recevoir entre eux. Le plus piquant est que Julie, de nationalité anglaise, signala sa présence et la mienne à l’Ambassade de Grande Bretagne qui envoya deux de ses fonctionnaires me visiter. Mais pas les français !

Les médecins estimaient à six semaines mon temps de récupération. Il ne m’a fallu que trois semaines, mais, dés que j’ai commencé à récupérer, mon humeur générale fut la révolte.

Je n’étais pas révolté par les erreurs médicales que je ne connaissais pas, mais révolté par ce qui m’était arrivé. Comment, moi en pleine santé, en pleine force de l’âge, tout d’un coup me retrouver à deux doigts de trépasser, opéré deux fois, abimé, handicapé peut être, c’était un scandale que je n’acceptais pas parce que je n’y voyais aucune raison, juste une succession de malchances.

Et cela me mettait de très méchante humeur.

Certes, j’avais commis l’erreur de partir à Prague malgré la sinusite, mais je n’avais pas osé annuler ces vacances qui s’annonçaient si excitantes pour un si petit bobo qui était d’ailleurs récurrent depuis des années.

Certes, j’aurais du aussitôt revenir en Autriche me faire soigner, mais à Prague, j’étais déjà dans un état trop faible pour prendre des décisions énergiques.

Bref j’étais scandalisé contre le sort et comme en plus le temps s’écoulait incroyablement lentement, puisqu’entre midi moins deux et midi, heure du repas, il fallait que s’écoulent cent vingt très longues secondes et que le même phénomène d’allongement du temps se manifestait du lever au coucher, j’étais en général de fort méchante humeur, ce qui ne rendait la vie facile à personne. La nuit, de plus, j’étais réveillé par un curieux phénomène qui se prolongea plusieurs mois : mon corps était tout d’un coup inondé de sueur et je me réveillais dans un lit trempé dont je ne pouvais sortir.

Finalement, vers le 15 ou le 20 janvier 1977, on me donna l’autorisation de rentrer en France. Les billets d’avion furent achetés, les passeports tamponnés et le Ministère de l’Intérieur tchécoslovaque, inquiet que j’accuse les autorités médicales  de faute professionnelle ou tout simplement généreux, décida de prendre à la charge de l’État tchécoslovaque l’intégralité des frais médicaux, ce qui était d’autant plus élégant de sa part que les médecins de l’hôpital Charles avaient déployés des efforts considérables pour me sortir d’affaire.

Jamais je n’avais vu autant de médecins se succéder auprès d’un malade que ceux que je vis pendant quinze jours autour de moi. De plus, ces mêmes médecins, avec beaucoup d’honnêteté,  n’ont rien caché des erreurs commises dans le rapport qu’ils ont remis aux médecins chargé de me suivre en France.

C’est qu’à Nice, il fallut suivre l’évolution de mon encéphalogramme, prendre chaque jour des lentérules de phénobarbital et m’interdire tout alcool pendant un an pour éviter le retour des crises d’épilepsie qu’avait mémorisé mon cerveau. Ce fut le Docteur Patrick Grellier, spécialiste reconnu de l’hôpital Pasteur et par ailleurs l’un de mes parents par alliance qui se chargea du suivi. 

Vint le jour du départ. Ce fut très tôt le matin. Je ne sais pourquoi, je craignais d’être emporté dans un camp, Dieu sait où ! L’apparence des deux infirmiers, massifs et silencieux, qui nous enfermèrent, Julie et moi, à clef à l’arrière de l’ambulance, le no man’s land gris cotonneux de l’hiver pragois donnaient un semblant de vraisemblance à mes craintes. Elles se dissipèrent tout à coup quand apparurent  les lumières blafardes de l’aéroport !

L’avion fit une escale à Genève, qui apparut dans ses couleurs éclatantes comme l’exact contraste de ce tunnel gris que je venais de traverser. Il fallut ensuite, contrainte d’horaire, prendre deux autres avions pour Paris puis pour Nice, avant d’arriver exténué et éberlué à l’aéroport de Nice.

Douze ans plus tard, je revins à Prague, et ce premier retour fut suivit de dizaines de séjours successifs, puisque je fis le projet d’un Institut Franco Tchécoslovaque de Gestion (IFTG), aujourd’hui Franco-Tchéque. Ce projet a été concrétisé grâce au remarquable leadership d’Hana Machkova.

 

Depuis 1989, je suis donc passé peut-être cent fois devant l’hôpital Charles, mais je n’ai jamais remarqué son existence jusqu’à ce qu’on me le fasse remarquer: curieuse capacité, ou volonté, de notre esprit à oublier ce qui nous dérange !

FIN

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