Louis XIV, un grand roi?
Comme je l’écrivais la semaine dernière, après la paix de Nimègue en 1678, la moitié des guerres engagées à l'initiative de Louis XIV restait à venir. C’est lui qui en fut responsable et non ses adversaires et il décida en outre de les aggraver en ordonnant à ses troupes de commettre des atrocités destinées à terroriser ses ennemis.
Après la paix de Nimègue, Louis XIV se mit à pratiquer aussitôt une politique agressive dite des « réunions », en revendiquant tous les territoires qui avaient, même très momentanément, dépendu de la France depuis les traités de Westphalie (1648). Des « Chambres de réunion » furent installées à Besançon, Brisach, Metz et Tournai. En pleine paix, elles prononcèrent des annexions aussitôt réalisées.
C’est ainsi que Courtrai, Sarrelouis, Nancy, Sarreguemines, Lunéville et Commercy furent rattachés au royaume. Des fiefs appartenant à l’électeur de Trèves, au marquis de Bade, au duc des Deux-Ponts passèrent dans la mouvance du roi de France par dizaines. Le parlement de Besançon fut sommé de réunir au royaume de France le comté de Montbéliard, les seigneuries de Ruaux, Val-d’Ajol, Fontenay-le-Châtel. Le comté de Vaudémont en Lorraine fut annexé de la même façon, avec les châtellenies de Pont-à-Mousson, Saint-Mihiel et Foug. En août 1680, ce furent les réunions de Strasbourg et de son évêché ainsi que des biens de la noblesse d’Alsace et de l’abbaye de Murbach. La ville de Strasbourg fut occupée en septembre 1681. En Alsace, seule la ville de Mulhouse restait libre, grâce à son alliance avec les cantons suisses.
La ligue d’Augsbourg et une nouvelle guerre devaient naître de cette violation répétée du droit international. Les violentes opérations menées par la France en 1684 contre la Flandre espagnole et le Luxembourg pour contraindre Charles II d’Espagne à abandonner des terres réclamées par Louis XIV furent la préfiguration du conflit qui couvait. Une médiation hollandaise rétablit momentanément la paix et aboutit en août 1684 à la trêve de Ratisbonne entre la France, l’Espagne et l’Empire : les réunions déjà faites étaient acceptées, mais elles ne pourraient plus se poursuivre à l’avenir. La Ligue d’Augsbourg, comprenant les Provinces-Unies, l’Espagne et la Prusse, fut constituée pour se défendre contre la politique agressive de Louis XIV.
Ce dernier ne s’estimait pas rassasié par les prises que ses voisins venaient de lui concéder de mauvais gré, dans l’espoir d’obtenir la paix. Saisissant le prétexte du refus du Pape de désigner son candidat à l’archevêché de Cologne, le cardinal Von Fürstenberg, qui n’était autre que l’évêque de Strasbourg, les troupes de Louis XIV envahirent le Palatinat en 1688 avec la mission de le dévaster systématiquement pour faire peur. Les Allemands s’en souviennent encore. Les villes de Mannheim, de Worms, de Speyer et d’Heidelberg furent détruites. Des centaines de villages furent pillés, leurs habitants passés au fil de l’épée. Les atrocités des troupes françaises foulaient au pied les conventions de la guerre au XVIIe siècle, qui entendaient limiter les pertes civiles et de respecter les propriétés.
Ces exactions soulevèrent l’indignation en Allemagne, poussant notamment les Électeurs de Saxe et de Brandebourg à s'allier avec l'Empereur contre Louis XIV. Dans le même temps, le roi de France perdit Jacques II, son allié anglais, chassé du trône d’Angleterre par Guillaume d’Orange malgré le débarquement de troupes françaises en Irlande. L’Angleterre déclara donc la guerre à la France aux côtés de l’Espagne et de la Savoie. La presque totalité de l’Europe, catholique et protestante, se trouvait réunie pour s’opposer à l’expansionnisme voulu par Louis XIV.
Pour faire face aux troupes alliées, le roi de France demanda un effort énorme à sa population, aussi bien du point de vue humain qu’économique. Une armée de quatre cent cinquante mille hommes, la plus grande jamais réunie en Europe depuis l’Empire Romain, fut rassemblée. Sous la direction de Louvois et de Le Tellier, les dépenses militaires vinrent à atteindre un niveau insensé puisqu’elles mobilisaient les deux tiers des dépenses de l’Etat, un Etat qui se transforma en véritable Léviathan, dévorant ses ennemis et ses sujets avec la même ardeur monstrueuse.
Les troupes royales durent se battre sur tous les fronts, en Flandre, en Savoie, en Catalogne. La guerre dura neuf années, réduisant dix pour cent de la population française à la mendicité, selon les propres estimations du Maréchal Vauban. Louis XIV finit par considérer que le temps était venu de négocier la paix. Celle-ci fut signée à Ryswick, à l’automne 1697. Ce fut une sorte de match nul : les troupes françaises évacuaient la Lorraine et les Pays-Bas espagnols, mais gardaient Strasbourg et la Basse Alsace ainsi que Sarrelouis et la partie occidentale de l’île de Saint-Domingue. On aurait pu penser raisonnablement que le cycle des guerres était terminé.
C’est alors que se présenta le dilemme de la succession d’Espagne. Louis XIV se trouva placé devant le choix cornélien de procéder soit à l’intronisation de son petit-fils Philippe, Duc d’Anjou, sur le trône d’Espagne soit de laisser un Habsbourg s’y installer. Dans le premier cas, il savait qu’il provoquerait à coup sûr une guerre à l’issue incertaine avec l’ensemble de l’Europe et, dans le deuxième cas, il devrait faire face à un nouveau rassemblement des couronnes d’Autriche et d’Espagne dans la même maison.
Suivant la pente de son tempérament, il opta pour la première solution qui entraîna une guerre contre les puissances rassemblées de l’Angleterre, des Pays-Bas, de la Prusse, de l’Autriche, du Piémont et du Portugal. On se doute que, malgré les efforts inouïs qu’il exigea de sa population et de ses troupes, la guerre finit par tourner au désavantage d’une France épuisée.
Malgré tout, le Traité de Rastadt (1714) permit à Philippe V de conserver le trône d’Espagne. Il ne restait plus à Louis XIV qu’à mourir un an plus tard, ayant passé sa vie à épuiser son peuple de guerres et d’impôts et à ravager l’Europe. Et il n’a pu le faire qu’en disposant du pouvoir excessif de l’Etat français unitaire, dont il usa jusqu’à la corde.
On a souvent écrit que Louis XIV était un grand roi. Il le fut en effet, mais au dépens de ses contemporains qui en payèrent le prix en vies humaines, en destructions et en impôts.
Il reste Versailles…