Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

Mobil man

26 Juin 2011 Publié dans #INTERLUDE

Le 5 juin dernier, j’ai publié un blog intitulé «  Professeur à titre provisoire » où j’ai compté mes premières expériences d’enseignant à la Faculté de Sciences Économiques de Nice et au Lycée Lyautey à Casablanca. À l’issue de cette période, en juillet 1971, j’obtiens facilement une lettre d’embauche à la Mobil Oil Française et je quitte avec ma famille le Maroc. 

DSC16098_DSuper5.jpgAussitôt après avoir débarqué dans le midi de la France en juillet 1971, mon premier soin fut d’acheter une nouvelle voiture. Ce choix allait se révéler tout à fait malencontreux. 

C’était l’été, nous revenions en France à l’aube d’une vie à construire. Je n’avais pas encore 27 ans, mon épouse était encore plus jeune, notre fils avait un an et demi. Il était assurément urgent d’affirmer mon nouveau statut de cadre par l’acquisition d’une belle auto, avant d’aller sillonner la France à son volant. À l’époque, comme acheter un véhicule se réduisait dans mon esprit à se procurer une Citroën, je remplaçais ma modeste Dyane 6 bleue mésange, bien adaptée au statut de jeune enseignant, par une rutilante DSuper[1] bleu ciel d’occasion récente pour le prix respectable de 10000 francs.

Au 1er septembre 1971, nous avons installé nos rares meubles dans un grand appartement de quatre pièces que nous avait généreusement alloué la Mobil dans l’immédiate périphérie de Saint Germain en Laye, le temps de ma période de formation et de stage. En outre, la Mobil  m’octroyait un bon salaire de 3200 francs par mois[2].

La DSuper allait pouvoir servir quotidiennement puisque j’étais affecté, durant la période du stage, à Gennevilliers où se situait le port pétrolier de la capitale, à 22 kilomètres de notre résidence. J’allais tout de suite découvrir qu’il me fallait une bonne heure, matin et soir, pour joindre les deux, sans pouvoir éviter le passage laborieux du pont d’Argenteuil. J’ai immédiatement ressenti  ce parcours de la banlieue en automobile comme  une pénible corvée. C’est que je débarquais de Casablanca, son soleil et ses déplacements rapides (cela a bien changé !)  et je me trouvais brusquement immergé dans l’ambiance grisâtre des embouteillages parisiens. Le matin, je montais dans ma DSuper, le cœur plein de courage et le soir, je rejoignais l’appartement à moitié vide[3] de meubles, l’oreille un peu basse, retrouver femme et enfant qui avaient passé la journée comme ils le pouvaient. De mon point de vue, il y avait une sorte d’incompatibilité entre la vision flamboyante de la vie que proclamait la belle DSuper et le piteux trajet qu’elle devait accomplir à petite vitesse sur le parcours maussade allant de Gennevilliers à Saint-Germain, car c’est surtout au retour que j’en percevais toute la médiocrité, qui rejaillissait sur la vision de ma vie. Aussi, prenant acte des mauvaises manières que je faisais subir à cette voiture, conçue pour glisser silencieusement le long de routes désertes encadrées de majestueux platanes et non pour ahaner au milieu de médiocres véhicules couverts de suies et de poussières que malmenaient d’atrabilaires conducteurs gris, je décidais de m’en séparer le cœur serré pour revenir humblement à mes anciennes inclinaisons. Je l’échangeais littéralement[4] contre une Dyane 6 rouge qui devait avoir par la suite une très longue carrière.

Ce changement de véhicule, même si je n’en eu pas tout à fait conscient sur le moment, avait une connotation chargée de symboles. C’était assurément un signe de révolte contre la vie dans la banlieue parisienne  mais, en reprenant un véhicule d’étudiant, c’était plus profondément une négation de mon « statut » de cadre. Mes collègues de la Mobil ne manquèrent pas de me le faire savoir. 

C’est que ma déception ne s’adressait pas qu’aux déplacements, elle concernait aussi la Mobil.



[1] Une des dernières versions de la DS (1955-1975), dotée de phares qui pivotaient avec la direction.

[2] Ce qui correspondrait aujourd’hui, compte tenu de l’indice des prix à  environ 3200€. C’était  un bon salaire, pour un débutant !

[3] Nous avons essayé de  meubler l’appartement notamment avec des chaises pliantes achetées au BHV et de bons gros fauteuils blancs bien pneumatiques, dont je possède encore quelques exemplaires.

[4] Je payais 9700 francs la Dyane 6 neuve, contraignant, situation rarissime, Citroën Saint Germain en Laye à me livrer la Dyane et à me verser en outre la somme de 300 francs en échange de la DSuper. 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article