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Le blog d'André Boyer

Dés l'origine, un peuple accablé sous le poids du pouvoir royal

3 Octobre 2010 Publié dans #HISTOIRE

Dans le blog intitulé « La construction de la France » publié le 16 octobre dernier, je soulignai que les rois de France avaient constitué dès le XIIIe siècle l’ensemble unitaire le plus puissant d’Europe. La question que je posais était d’observer retrospectivement cette centralisation du pouvoir avait assuré la prospérité du pays ?

1223184619067.jpegOr, au plan économique, la centralisation française du pouvoir a été tout de suite perçue à l’extérieur comme un échec, une erreur, une erreur qui persiste depuis plus de huit siècles. C’est ainsi que  John Fortescue, qui combattit le roi de France pendant la guerre de Cent Ans, mentionne dans son essai, De laudibus legum Angliae (1470),la mauvaise gestion de la France par comparaison avec celle de l’Angleterre. Il observe que le Roi de France a tellement appauvri son peuple que ce dernier peine à survivre. Il s’étonne par exemple que, contrairement à l’Angleterre, les gens en France boivent de l’eau et non de la bière ou du cidre, se nourrissent de pain noir au lieu de pain blanc, ne peuvent pas consommer de la viande mais seulement un peu de graisse et des tripes. Il note que les gens en France ne portent pas de laine mais des blouses de canevas ou des braies qui ne descendent pas en dessous du genou et que leurs épouses et leurs enfants vont nu-pieds. Et bien sûr, qu’ils n’ont ni armes, ni argent pour en acheter.

L’étonnement de Fortescue porte sur le fait que les Français puissent vivre dans la pauvreté la plus extrême alors qu’ils habitent le royaume le plus fertile du monde. L’image que donnait alors la France était celle d’un pays tellement mal gouverné et surexploité qu’il rendait pauvres ses habitants alors que toutes les conditions étaient réunies pour qu’il soit riche. Mais la préoccupation première du roi ne pouvait pas être celle de la prospérité de ses sujets, qui aurait supposé des bouleversements dans l’ordre politique qui auraient nui à son pouvoir.

Un siècle après Fortescue, Machiavel, qui n’a pas seulement écrit « Le Prince », trouve les rois de France « plus gaillards, plus riches et plus puissants qu’ils ne le furent jamais », dans son « Rapport sur les choses d'Allemagne » écrit en 1508, (Oeuvres complètes, La Pléiade, 1952, p 139). Cette force des Rois de France provient d’après lui de la taille toujours plus vaste du domaine qui appartient en propre au Roi de France et de la soumission de ses vassaux. Aucun ne peut lutter contre le roi, contre lequel les puissances voisines ont également du mal à faire face. Cette soumission a un revers, note Machiavel, car elle affaiblit le peuple : « Le reste de la population, roture et gens de métier, est tellement asservie à la noblesse et bridée en toute chose qu’elle en est avilie.[1] ». Or, ajoute t-il, « la France, grâce à son étendue et à l’avantage de ses grandes rivières, est grasse et opulente, les denrées et la main-d'oeuvre y sont à bon marché, sinon pour rien, à cause du peu d’argent qui circule parmi le peuple ; c’est à peine si les sujets peuvent amasser de quoi payer leurs redevances, si minces qu’elles soient (…) Tandis que nobles et prélats prélèvent, le Roi n’a pas besoin de dépenser trop en forteresses, grâce à la parfaite soumission de son peuple, humble et vénérant le Roi, vivant à peu de frais »[2].

Ces deux témoignages anciens montrent déjà une France accablée sous le poids du pouvoir royal. Car, depuis le règne de Philippe le Bel, le pouvoir du roi s’appesantit sur un espace de plus en plus étendu et une population toujours plus nombreuse. Ce pouvoir cherche à contrôler au plus prés un peuple qui s’efforce d’éviter des impôts toujours plus lourds, du fait des ambitions guerrières du royaume, de ses coûts d’administration jamais satisfaits et des goûts de luxe des privilégiés au pouvoir. Ce dernier ne se préoccupe guère de créer les conditions de la prospérité du pays, sinon pour dégager des capacités d’imposition plus fortes.

 Je crains que l’on en soit encore au même point aujourd’hui en France. L’histoire montre que jamais, lorsqu’il fut en position de force, le pouvoir central qui est passé du Roi à l’Empire ou à la République ne s’est départi de ses prérogatives, cherchant tout au contraire à en rajouter presque toujours de nouvelles, sans se préoccuper des effets négatifs qu’il pouvait engendrer sur la prospérité ou le bonheur de ses sujets ou de ses citoyens. Il a au contraire sans cesse cherché à légitimer son action coercitive plutôt que de la restreindre.

C’est cette recherche incessante d’un contrôle toujours accru de la société française que nous allons examiner à la lumière de l’histoire, un contrôle qui s’accroît sans désemparer depuis la fin du XIIIe siècle.

 



[1] Machiavel, opus cité, p 137.

 

[2] Machiavel, opus cité, p 139.

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