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Le blog d'André Boyer

Professeur à titre provisoire

5 Juin 2011 Publié dans #INTERLUDE

La première fois où j’ai donné un cours, je venais de recevoir, dix minutes auparavant, un coup de poing dans la figure. 

Eleves.jpegC’était fin octobre 1968. Je venais d’être chargé de Travaux Dirigés à la suite de ma réussite à la Licence de Mathématiques. Il me fallait encore achever ma Licence de Sciences Économiques et le CAAE (l’actuel Master en Administration des Entreprises) qui pouvait à l’époque être  suivi en même temps que la Licence. Le mois précèdent, je m’étais marié avec Elisabeth qui avait terminé  pour sa part une Maîtrise de chimie. En ce samedi après midi, je me trouvais encore place Masséna vingt minutes avant le début des cours quand je réalisais qu’il fallait se dépêcher  pour  ne pas arriver en retard. J’inaugurais ainsi, sans le savoir, une très longue série de cours pour lesquels j’arriverai avec cinq minutes de retard, faute de prendre une petite marge de sécurité. Je ne sais pourquoi, je n’ai jamais aimé arriver en avance à un cours.

Je montais rapidement dans ma 2 CV, accélérais avenue de Verdun et doublais, sans trop prendre le temps de regarder derrière moi, une voiture qui se traînait. Ce faisant, j’obligeais une 4L de livraison, qui me suivait de près, à freiner violemment. Pressé par le temps, je n’y prêtais pas vraiment attention. Je fonçais Promenade des Anglais, obliquais Boulevard François Grosso et stoppais à un feu rouge au niveau de la rue Dante. C’est alors que ma porte gauche s’ouvrit violemment et que je reçu un coup de poing de la part du chauffeur livreur de la 4L qui m’avait suivi trois kilomètres pour se venger. Compte tenu de l’imminence du premier cours de ma vie, je résistais à la tentation de répliquer physiquement, relevais[1] le numéro de la voiture du boxeur et continuais ma route, la lèvre fendue, jusqu’au campus Droit où j’ai encore mes entrées aujourd’hui. Si je me rappelle bien les prolégomènes de ce premier TD de Statistiques et l’émotion que je ressentais de devoir enseigner pour la première fois dans de telles circonstances, je ne me souviens plus du tout en revanche de la qualité de ce cours…

Aujourd’hui en ce mois de juin 2011, j’en suis à près de 42 ans d’enseignement, si je soustrais de mon activité d’enseignant l’année que j’ai passé à la Mobil Oil entre septembre 1971 et août 1972. Dans cette Faculté de Droit et de Sciences Économiques qui n’avait guère plus de trois ans d’existence dans ses locaux modernes, les  événements de 1968 ne dataient que de quelques mois lorsque je donnais mes premiers Travaux Dirigés. Nous étions encadrés par de jeunes et vieux mandarins qui ne s’attendaient pas à être aussi fort secoués dans leurs certitudes et leurs positions. C’était encore l’époque où les bureaux du cinquième étage face à la mer avaient été soigneusement attribués en fonction du rang professoral, la salle des actes emplie par une immense table en bois précieux, la salle des pas perdus ornée d’une magnifique mosaïque de Chagall et il ne s’agissait pas pour le personnel administratif de garer son véhicule au premier niveau du parking : il était réservé aux professeurs.

Pendant mon année mixte d’étudiant et d’enseignant, je participais aux débats sur les statuts de l’IAE, mais ce monde solidement hiérarchisé et fortement refermé sur ses domaines spécifiques  ne me tentait guère, tant il me semblait en dehors de la vraie vie. Après une vingtaine d’années d’études, je pensais en effet qu’il était temps de rejoindre le monde réel, celui des entreprises. En attendant, en tant que jeune marié, il me semblait préférable d'accomplir, comme coopérant militaire, deux ans d’enseignement au Lycée Lyautey en compagnie de mon épouse que seize mois de service national dans une caserne…

C’est ainsi que je commençais ce que je croyais être une brève carrière d’enseignant à Casablanca, où j’interviens encore, toujours en tant qu’enseignant, quarante-deux années plus tard. Il faut dire que ce métier de professeur au Lycée ne m’a pas déplu, ni la vie à Casablanca d’ailleurs. Je devais enseigner les sciences économiques et les mathématiques à des élèves de terminales et de premières des filières classiques et techniques. Pour ces dernières, cela n’a pas très bien tourné. Les classes de Terminale G2 (plutôt comptabilité) se sont révélées turbulentes  et j’ai aussitôt pris des mesures extrêmes, heures de colle puis exclusions, qui ont conduit à une sorte de révolte générale des élèves. C’est à cette occasion que j’ai appris qu’il ne fallait pas « surjouer » le rôle de professeur.  Le proviseur a trouvé un moyen terme entre la satisfaction des revendications des élèves et le soutien à son jeune professeur inexpérimenté. Il m’a donné une autre classe à la place des Terminales G2. Avec la Première G1 (secrétariat) composée à 100% de filles ignorant tout et ne voulant rien savoir des mathématiques, d’une certaine manière cela n’a pas mieux marché qu’avec les G2, mais j’ai su trouver tout seul un gentleman agreement : elles passaient des chansons sur leur Teppaz pendant leur heure de cours hebdomadaire de "mathématiques" et moi je corrigeais des copies. Si je voulais être complet sur mes aventures d’enseignant, il faudrait que je vous raconte le déroulement du Baccalauréat 1971 à Rabat, mais ce sera pour une autre fois…

Dans l’ensemble, j’étais plutôt content de mes cours et de mes élèves dont certains sont aujourd’hui bien connus au Maroc, Hassan Abouyoub, actuel ambassadeur itinérant du Roi Mohammed VI ou les jumeaux Nadir et Fahd Yata, fils du célèbre dirigeant communiste Ali Yata. Je n’oublie pas non plus que l’un de mes anciens élèves de l’époque est aujourd’hui mon collègue. Je m’y suis fait par ailleurs des amis, qui le sont toujours.  La douceur de la vie marocaine et la naissance de notre fils Thierry aidant, je me serais bien installé au Maroc en prolongeant ad vitam aeternam le contrat de deux ans que j’avais signé avec la MUCF (Mission Universitaire et Culturelle Française au Maroc). Mais il fallait être sérieux et renoncer à la vie de Capoue pour entrer enfin dans la vraie vie, celle de cadre d’une grande société multinationale, la Mobil Oil Française. En cette époque révolue, il m’avait suffi en effet d’adresser trois lettres de candidature spontanée, une à Air France, une à Shell et une à Mobil Oil pour être embauché. Pour cette dernière, je bénéficiais en outre de la recommandation du directeur de la Mobil Oil Maroc, Louis Ravier.

 

Aussi, muni d’une promesse d’embauche au 1er septembre 1971, ma femme, mon fils et moi quittions « définitivement » le Maroc le 17 juillet 1971, sept jours après l’attentat de Skhirat, à destination de Marseille, à bord du tout nouveau Massalia de la compagnie Paquet. C’était la fin, du moins je le croyais, de ma brève expérience d’enseignant…

 



[1] Le pauvre chauffeur y perdit : rancunier, je portais plainte et il fut licencié par son employeur, Prénatal. 

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S
Cours de maths et exercice de mathématiques Casablanca - Aux Cours Pygmalion,<br /> nous vous proposons des exercice de mathématiques ou des cours particuliers aussi des cours de maths à Casablanca,
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S
Cours de maths et exercice de mathématiques Casablanca - Aux Cours Pygmalion, nous vous proposons des exercice de mathématiques ou des cours particuliers aussi des cours de maths à Casablanca, dans notre centre ou à votre domicile.
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B
Merci
A
<br /> <br /> En effet! heureusement que cela n'est pas devenu une habitude...<br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Ca s'appelle un début bien marqué!<br /> <br /> <br /> <br />
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