Rentier au Cepun
3 Mai 2014 Publié dans #INTERLUDE
Je prends la responsabilité du Cepun au printemps 1978, sans savoir ce qui m’attend.
Le Cepun était une administration centrale de l’Université de Nice, représenté par des secrétariats sur tous les campus, Sciences, Droit, Lettres, Médecine et IUT.
C’est ainsi que l’un de mes grands combats, en dehors de la bataille interne contre la redoutable Miss W., fut de maintenir l’IUT dans le giron du Cepun, alors que mon ami Xavier Boisselier, directeur de l’IUT, souhaitait que ce dernier soit doté d’un service indépendant de formation continue. Il y parvint, mais seulement après mon départ de la direction du Cepun.
Les enseignants dans toutes les disciplines, sciences droit, économie, lettres, médecine, étaient au nombre de cent cinquante environ qui fournissaient des vacations au tarif de 90 francs de l’heure de cours.
Comme souvent, il y avait des enseignants plus égaux que d’autres. Les nobles étaient les responsables pédagogiques qui dirigeaient les programmes de formation, ce qui leur donnait le droit de recevoir une indemnité fixée statutairement à 10% du montant des heures de cours et le privilège justifié de choisir le volume de cours qui leur convenait à l’intérieur du programme.
Parmi ces nobles, il y avait les pauvres qui recevaient une indemnité modeste parce que leurs programmes étaient relativement limités mais il y avait aussi quelques nouveaux riches, qui faisaient leur beurre sur le dos des programmes pour chômeurs. Parmi ces nouveaux riches, l’un d’entre eux attira particulièrement mon attention, Karl H.
Je le connaissais assez bien, car il était de la même génération que moi et nous avions parfois coopéré pour un projet commun. Il avait été placé à la direction de la Formation Continue de l’IUT depuis longtemps et se trouvait dans la situation d’encaisser une commission sur tous les contrats de Formation Continue signés par l’IUT. Il n’y était pas pour grand chose à l’époque, car les contrats, notamment ceux destinés aux chômeurs, arrivaient tous seuls à l’IUT.
C’était de très gros contrats, pérennes, puisque, comme on peut le constater encore aujourd’hui, le marché des chômeurs est toujours en expansion trente ans plus tard. On commence même à découvrir officiellement, avec trois décennies de retard, que la Formation Continue est un énorme fromage !
Karl H., lui, avec ses commissions automatiques faisait plus que doubler son salaire. C’était au point qu’à lui tout seul, il recevait 40% de toutes les rémunérations pédagogiques versées par le Cepun.
Fort de ces données, je m’attaquais à son cas, avec toute l’énergie juvénile que génère le sentiment d’avoir pour soi, à la fois, la morale, le droit et le pouvoir. Mon objectif était de réduire à un niveau « raisonnable » le montant de ses indemnités.
Logiquement, j’échouais lamentablement.
Pire encore, Karl H., s’abritant derrière la discrète autonomie de l’IUT, réussit à conserver sa rente universitaire. Je m’en fis naturellement un ennemi juré et j’eus même le dépit de constater que sa secrétaire, Anne de Q., que j’avais antérieurement sauvé de la dépression en la recrutant à U3, le soutenait totalement contre moi, choisissant la protection de son chef direct aux aléas du respect de la morale.
Naturellement, l’infatigable Miss W. se chargea de renforcer la détermination du planqué, puisqu’il était mon ennemi. Même des années plus tard, Karl H. s’activa encore pour lutter contre ma candidature à la direction de l’IUT : il avait eu tellement peur !
Bref, ce fut une magnifique leçon de réalisme :
La morale ne peut rien contre l’inertie administrative, formidable cuirasse des planqués.
Le droit est un outil optionnel, qui sert aux puissants pour détruire les faibles.
Le pouvoir n’est rien s’il n’est pas assuré de la durée.
La reconnaissance est une vertu sur laquelle il est constamment dangereux de s’appuyer.