SciencesPo, a Harvard French School?
Après avoir modifié les modalités d’entrée dans SciencesPo en donnant des gages aux pouvoirs politiques et médiatiques avec l’introduction d’une voie d’accès réservée aux bacheliers issus de lycées "défavorisés", Richard Descoings et la FNSP avaient les mains à peu prés libres pour modifier en profondeur le recrutement périphérique de SciencesPo.
J’écris « périphérique » parce qu’il a de fait entrepris d’ajouter des satellites à la maison-mère, selon un vaste programme d’expansion, sortant de la rue Saint Guillaume à Paris pour s’installer sur six campus en province, mais au niveau de la licence seulement, ce que l’IEP appelle ses collèges universitaires.
À Poitiers, l’IEP installa un campus dédié au continent latino-américain et aux hispaniques, à Dijon un autre dédié à l’Europe centrale et orientale, au Havre ce fut un campus consacré à l’Asie, à Menton un campus voué au Moyen-Orient et au Maghreb, à Nancy un campus naturellement ouvert sur l’Allemagne et à Reims un campus pour les étudiants en provenance des Etats-Unis et des pays anglo-saxons. Le campus parisien s’adjoignit en outre un collège destiné à l’Afrique.
Toutes ces installations furent accomplies avec la bénédiction des heureuses villes élues, et accessoirement avec l’aide substantielle de leurs subventions.
Adossée à sa réputation élitiste, la nouvelle offre de SciencesPo couvrait désormais l’ensemble du monde. Les étudiants étrangers affluèrent sur tous ses campus périphériques, mais beaucoup moins rue Saint Guillaume qui conserva l’essentiel de ses étudiants parisiens et élitistes. La structure de l’IEP en fut tout de même profondément modifiée puisqu’elle compte désormais 42% d’étudiants étrangers et que ses effectifs ont été multipliés par trois depuis l’arrivée de Richard Descoings à la direction de l’IEP, soit 11000 étudiants, la taille d’une université à part entière.
Au-delà de la licence qui rassemble la masse des étudiants, l’IEP propose désormais, à Paris, une longue série de masters en français et en anglais, rassemblés dans des « Écoles » de SciencesPo : la Paris School of International Affairs, l’Ecole de la Communication, l’École de Droit et l’École de Journalisme, cette dernière étant très utile pour se concilier les journalistes appelés à y officier comme « Maîtres de conférences à SciencesPo ».
Il s’y ajoute un empilement historique d’autres formations, le Département d’économie, les Affaires Européennes, le Corporate and Public Management, la Gestion des ressources humaines, Governing the Large Metropolis, Marketing et Études, le Master of Public Affairs, les Stratégies territoriales, l’Urbanisme et même le Master d’expérimentation en Arts et politique!
Enfin, coiffant le tout, on trouve à l’IEP le majestueux étage de l’École doctorale, où on s’inscrit encore pour la modique somme de 300 euros, comprenant pas moins de cinq doctorats, en Sciences Politiques évidemment, mais aussi en Droit, en Économie, en Histoire et en Sociologie et un centre de recherche qui semble recueillir tous les suffrages. Au total, un véritable Harvard à la Française…
Il restait à faire de l’argent, sans quoi rien de tout ce qui précède n’aurait eu de sens. Richard Descoings ne se gêna pas pour accroître les droits d’inscription qui furent multipliés par dix, passant de 1050 euros à 9800 euros pour le collège universitaire et à 13500 euros pour les Master. Échaudé par l’échec d’Alain Lancelot en 1994 qui avait abouti à une grève générale, il s’appuya sur l’idée de la redistribution vers les élèves les moins fortunés. Il fit d’ailleurs école puisque l’Université Paris Dauphine a suivi le même chemin. En même temps, il protégeait son accroissement des droits par l’argument, toujours politically correct en France, que ceux qui déclarent des revenus doivent payer plus cher que ceux qui en déclarent peu ou pas : l’impôt sur le revenu appliqué une deuxième fois à la dépense…
Réalisme oblige, les droits de l’IEP sont fortement progressifs. Une famille qui déclare aujourd’hui 5000 euros de revenus par mois paie déjà le maximum de droits et il faut qu’elle ait des revenus inférieurs à 1500 euros par mois pour ne pas payer plus que les droits qui avaient cours avant la réforme des droits. C’est ce que Richard Descoings appelait « la redistribution au sein de la communauté étudiante ».
Adossé à une structure privée, il pouvait en effet faire ce qu’il voulait en matière de droits d’inscription, alors que les universités et les écoles publiques en sont réduites en 2012 à percevoir la somme ridicule de 200 euros par étudiant et par an tandis que la moindre proposition de droits spécifiques supplémentaires provoque des recours indignés.
Le plus agréable pour la FNSP est que, malgré tout, SciencePo continue à recevoir des subventions de l’État, des régions et de l’Europe, et que ces subventions étaient même jusqu'à ce jour en forte croissance.
Le mérite de Richard Descoings est sans aucun doute d’avoir transformé l’IEP en une sorte de business school mondialisée, segmentée par cultures, sans que personne, ou presque, ne proteste de ce qu’il ait du même coup galvaudé la vocation de SciencesPo.
La question reste de savoir si c’est un succès, voire un modèle, ou si c’est une voie sans issue…
À suivre…