Souffrir? Et puis quoi encore?
3 Juin 2013 Publié dans #PHILOSOPHIE
Dans le blog précédent intitulé « le principe de précaution ou la vie, il faut choisir » du 3 mai dernier consacré à la pensée de Nietzsche, ce dernier insistait sur la contradiction entre la volonté de vivre et l’obsession du risque…
De quoi diable avons nous peur ?
Nous avons à l’évidence peur de souffrir.
Le bonheur nihiliste s’efforce de bannir toute source potentielle de souffrance. Certes, il est naturel de fuir la souffrance et de rechercher le plaisir. Mais la douleur est-elle pour autant le mal absolu ?
Jamais, grâce aux progrès de la médecine et à l’amollissement des mœurs, nous n’avons si peu souffert dans l’histoire de l’humanité. Mais, moins nous souffrons, plus nous devenons sensibles à la souffrance et plus nous avons l’impression de souffrir à tout propos.
Nietzsche relève ainsi que : « notre bien-être économique fait croitre notre sensibilité. On souffre des plus menues souffrances. Notre corps est mieux protégé, notre âme plus malade » (Fragment posthume, 1886-1887,7)
Pour Nietzsche, l’obsession de la douleur et de son contraire, le plaisir, est le signe de l’épuisement de celui qui n’a plus assez de force pour affronter la douleur. Il observe que : « Les hommes créateurs ne prennent jamais le plaisir et la douleur pour des questions ultimes de valeur, il faut vouloir les deux si on veut aboutir à quoi que ce soit » (Fragment posthume, été 1887, 2)
Sans la douleur, aucune expérience, aucun apprentissage n’est possible. Elle est nécessaire à l’expérience du plaisir lui-même :
« Et si plaisir et déplaisir étaient liés par un lien tel que celui qui veut avoir le plus possible de l’un, le plaisir, doive avoir aussi le plus possible de l’autre ? » (Le Gai savoir, I, 12).
Au fond, nous savons bien, de part nos expériences, que cette observation de Nietzsche est triviale. Chaque occasion de plaisir peut-être la source d’une douleur potentielle. Chercher une grande histoire d’amour signifie qu’il faut être prêt à affronter un grand chagrin d’amour. Réduire le périmètre de ses expériences à celles où nous ne risquons pas d’être déçus, blessés, trahis, ramène notre vie à l’insignifiant : celui qui n’a jamais souffert n’aura que des joies superficielles.
D’ailleurs la douleur est parfois inhérente au plaisir lui-même, c’est le cas lorsque l’on regarde un film d’horreur ou que l’on déguste un plat pimenté sans même mentionner la violente intensité du plaisir sexuel.
Aussi la souffrance n’est-elle vraiment insupportable que lorsqu’elle n’a aucun sens.
C’est à partir de cette observation que Nietzsche a pris conscience que le nihilisme n’était nullement la conséquence du déclin des religions et des idéologies, mais qu’il constituait la maladie originelle de l’homme.
Alors que les animaux agissent par instinct sans se poser de questions sur le but de leur existence, l’être humain décide lui-même de son but de la vie, ce qui est sa grande force mais aussi sa grande détresse.
Le but de sa vie ? Lorsque l’homme cherche dans la nature une intention qui lui dicterait ce qu’il doit faire, il ne rencontre qu’un mur. Lorsqu’il cherche à se mettre au service d’un principe universel, il découvre qu’il n’en existe nulle part.
En revanche, il prend conscience que le monde est une évolution perpétuelle qui ne va nulle part, qui n’atteint jamais son terme et qui ne répond à aucun ordre préétabli.
(À SUIVRE)