Survivre après Krasnoï
12 Mai 2011 Publié dans #HISTOIRE
Le 17 septembre à Krasnoï la bien nommée[1], Napoléon échappe à l'encerclement grâce à la lenteur de Koutousov. Maintenant il lui faut durer.
Il prend quelques heures de repos, puis repart dans la nuit alors que la température remonte quelque peu et que le dégel s’amorce, qui rend les chemins boueux. Il parvient néanmoins à atteindre Dubrovno le 18 novembre avant le jour, cinquante kilomètres plus loin.
Pendant que la troupe abat des maisons pour alimenter les feux, il apprend la perte de Minsk, prise par les troupes de l’amiral Tchitchakov. C’est une catastrophe majeure, puisque sa retraite est désormais coupée. Comme à son habitude, Il réagit aussitôt en ordonnant à la division Drombrowski, chassée de Minsk, de se porter à Borisov et d’y défendre la tête de pont sur la rive droite de la Bérézina. Il ordonne aussi au corps d’armée du maréchal Oudinot, qui s’est replié de Polotsk deux cents kilomètres au Nord, de se joindre à la division Drombrowski afin de reprendre Minsk. Mais comment enlever Minsk avec deux fois moins d’hommes que l’ennemi ?
À trois heures du matin, le 19 novembre, toujours depuis Dubrovno, Napoléon donne l’ordre au maréchal Victor de contenir autant que possible les troupes russes de Wittgenstein. Enfin, au petit matin du même jour, Il fait mettre la Vieille Garde en carré, puis, se plaçant au centre, il la fait témoin de la désorganisation de l’armée pour lui confier le soin de maintenir la discipline. Sacrée nuit !
Il se remet aussitôt en marche vers Orsha, à trente kilomètres de là. Orsha est une ville de garnison située sur le Dniepr, qu’il atteint le 19 novembre à midi. Il s’y efforce de réorganiser ses troupes. Avec les trente-six canons et les chevaux qu’il y trouve, il fait six batteries. Il demande inlassablement de détruire les voitures non indispensables et il fait lire partout un ordre du jour enjoignant aux traînards de rejoindre les unités régulières. Sans beaucoup de succès.
Il quitte Orsha le 20 novembre au soir pour s’installer quinze kilomètres plus loin, à Baranui. C’est dans ce bivouac qu’il apprend la bonne nouvelle du sauvetage de Ney. Enfin une bonne nouvelle ! La tentation était grande de faire enfin une pause. Le temps était plus clément et à Orsha, on avait enfin trouvé des vivres. Or, il fallait continuer à avancer coûte que coûte, à cause de la prise de Minsk par Tchichakov. Mais qu’elles étaient silencieuses et accablées, ces troupes qui avançaient sans relâche ! Et que dire des traînards qui les entouraient !
Le 21 novembre, l’arrière-garde détruit à Orsha les ponts sur le Dniepr, tandis que Napoléon s’établit à Kokhanov, tourmenté par la question du pont de Borisov, qu’il faut à tout prix conserver.
Las, le 22 novembre, alors qu’il marche vers Tolotchino, il apprend que Tchichakov vient de s’emparer, non seulement de la tête de pont, mais de la ville de Borisov elle-même ! Car Dombrowski n’a pas pu résister, avec ses cinq mille cinq cent hommes, à l’armée de Tchichakov, cinq fois plus nombreuse. En apprenant la nouvelle, Napoléon, d’ordinaire si maître de lui, ne peut s’empêcher de montrer sa consternation…
Comment s’en sortir ? Il ne reste qu’une seule solution, trouver un passage pour traverser la Bérézina malgré Tchichakov, et tout de suite, pour ne pas être pris en tenaille par Wittgenstein et Koutousov ! En plus, comme on n’a plus d’équipages de pont, il va falloir construire des chevalets et tout cela sans outils ! Mission impossible !
Napoléon voit bien que la situation est redevenue aussi critique qu’à Krasnoï. Platov talonne son arrière-garde. Wittgenstein le serre à droite, avec pour seul écran le corps d’armée de Victor. Comment empêcher Tchichakov et Wittgenstein de se réunir pour couper sa route ? Rien d’autre à faire que de prendre toutes les mesures possibles : faire face, le reste sera donné de surcroît. Napoléon se hâte vers Toloczin. Puisque Dombrowski a pu s’enfuir de Borisov avec mille cinq cent hommes, qu’il se joigne à Oudinot. Que ce dernier marche sur Borisov pour reprendre la ville. Qu’il prévoit la construction de deux ponts, à droite ou à gauche de Borisov, si d’aventure le pont actuel était détruit. Qu’il soit maître d’un passage dans 48 heures. Il n’y a pas une minute à perdre !
Mais où passer, sans laisser le temps à Tchichakov de réunir son infanterie pour attaquer le pont ?
Dès lors, la partie d’échec commence.